Sayida Ounissi, le visage “français” du parti islamiste tunisien!

A l’occasion des élections législatives organisées en Tunisie, le JDD a rencontré Sayida Ounissi, tête de liste du parti islamiste Ennahda dans la circonscription “France Nord”.

Retenez bien ce nom : Sayida Ounissi. Des grands et beaux yeux, un teint de porcelaine et un hidjab, ce jour-là, couleur pastel. Cette jeune femme de 27 ans est la tête de liste du parti Ennahda dans la circonscription France Nord, à l’occasion des législatives tunisiennes organisées dimanche. Elle représente le fer de lance d’un parti islamiste qui, bien que chahuté en Tunisie, n’entend pas perdre pied sur le territoire français. Elle symbolise la réussite d’une destinée à cheval entre la France et la Tunisie. Elle se veut le garant d’une affirmation vertigineuse pour certains : admettre que l’islam politique est compatible avec la démocratie.

“Ce fut une campagne un peu compliquée”, admet Sayida dans son QG parisien, un café de la place de la Nation, à Paris. “Parce qu’Ennahda est une formation politique qui n’a pas d’équivalence, en France. Et la grille de lecture qui en était faite jusqu’ici ne correspondait pas à la réalité de ce qu’était l’essence même d’Ennahda. A savoir un parti musulman, un peu comme la CDU (Union chrétienne démocrate) en Allemagne. Il a donc fallu faire un travail d’explications intensif, lors de ses trois dernières semaines de campagne, sur le territoire français “.

“C’est Ennahda qui est venu me voir”
Il suffit de cinq minutes d’entretien pour comprendre pourquoi Ennahda est allée chercher cette jeune française, arrivée dans le pays à l’âge de cinq ans, avec ses parents, réfugiés politiques échappant ainsi à la dictature de Ben Ali. “C‘est vrai, ce sont eux qui sont venus me voir, cet été. J’étais plutôt active dans la société civile et dans le partenariat euro-méditerranée, dans le domaine de la jeunesse. Faire de la politique, c’était un plan de carrière potentiel réel mais pas aussi tôt, pas dans le cadre d’une élection législative et pas en tant que représentante des Tunisiens à l’étranger. La barre est donc placée très haut”. Un homme est arrivé, entre-temps. Driss Ridha, le directeur de campagne d’Ennahda France-Nord. Il écoute, n’intervient jamais. Elle est la plus jeune sur les cinq candidats en lice. Mais il est clair qu’il n’a aucun doute sur le succès de leur candidate.

En réalité, le genre de formation politique comme Ennahda voudrait pouvoir tabler sur des dizaines de Sayida Ounissi, partout, là où il y a des Tunisiens à l’étranger. Sayida manie aussi bien les codes français que ceux hérités de ses parents tunisiens. Elève que l’on devine brillante et sans histoire, Sayida est doctorante de Paris1, spécialisée des questions de politiques sociales en Tunisie. Une féministe revendiquée, les cheveux couverts, et une intelligence académique redoutable. Le rêve des partis islamistes.

Mais elle a quelque chose en plus qu’Ennahda n’a sans doute pas eu le temps de mesurer. Une forme de franchise, voire de candeur, par rapport à ses propres sentiments et envers sa Tunisie d’origine. Une franchise à laquelle les jeunes français d’origine tunisienne pourraient facilement s’identifier. “Lorsque la révolution a éclaté, mes parents sont partis un mois après. C’était pour eux un grand retour, 23 ans après leur départ précipité. Moi, j’avais bénéficié d’un assouplissement de Ben Ali, en 2007, qui autorisait les enfants de réfugiés politiques à venir en Tunisie. En fait, cela s’est avéré difficile, tout le monde avait peur. Il faut comprendre que j’avais grandi avec cet idéal de paradis perdu pour nos parents mais qui finalement ne correspondait à rien pour moi. Donc cela ne m’a pas plu”.

“Nous inventons une nouvelle façon de vivre notre double identité, à la fois en France et en Tunisie”
Le deuxième voyage eut lieu après la révolution, au mois de mars 2012. “J’y suis restée six mois, j’y ai travaillé, j’ai compris qu’une révolution ne se mettait pas en place en cinq minutes, qu’une sorte d’anarchie pouvait régner un temps. J’ai commencé à apprendre à aimer la Tunisie”. Viendra un troisième déplacement, toujours dans un cadre professionnel. “J’ai pris conscience que j’étais quelqu’un d’hybride, que j’étais influencée par les deux côtés de la méditerranée, la façon dont je pense, dont je réfléchis, dont je vis et j’agis. J’ai compris que j’étais franco-tunisienne, ou tunisianno-française, mais que ce n’était pas un problème. Au contraire, c’était une richesse. Maintenant, si je suis élue, ce sera un mandat pour cinq ans et je serai bien là, en France, à représenter dignement mes compatriotes, sur le territoire français”.

Une élection savamment orchestrée.

A la fois sur le plan professionnel que sur le plan familial. “Notre circonscription va de Clermont-Ferrand à Dunkerque et jusqu’à la frontière allemande. Ce fut donc une campagne classique, dans ce sens que j’ai avalé des kilomètres en voiture, arpenté les marchés, discuté dans les cafés, répondu aux questions des plus jeunes aux plus vieux”. Ses parents vont même jusqu’à assurer la logistique. Ils la conduisent partout. Sa mère, qui est assistante maternelle, a pris des vacances pour être complètement à la disposition de sa fille. “Elle me repasse même mes vêtements!”.

Sayida découvre les longues soirées dans les cafés, où il n’y a pratiquement que des hommes. “La politique est faite pour les hommes, c’est clair, c’est un challenge”. Sayida a aussi un accès privilégié aux femmes qui se fait de façon plus discrète, dans les appartements. Mais partout, l’accueil est curieux, voire chaleureux. Seules les questions diffèrent. Celles des plus âgés sont très techniques, tandis que celles des plus jeunes sont très politiques ou identitaires. La jeune femme a le sens du contact, allié au sens des convenances. “En parlant aux jeunes, j’ai réalisé combien la Tunisie ne représentait pas du tout une porte de sortie, qu’ils étaient très bien en France, leur pays, mais qu’avec cette révolution, ils pouvaient avoir un rôle à jouer ici, tout en développant un nouveau sens de ce qui peut être une diaspora. De la même façon que nous sommes en train d’inventer un nouveau modèle de transition politique, nous inventons une nouvelle façon de vivre notre double identité, à la fois en France et en Tunisie, que ce soit par un engagement culturel ou politique. La Tunisie de nos parents devient ainsi une source d’inspiration pour des jeunes qui vivent leur double identité comme une richesse de façon harmonieuse et apaisée “.

“Il y a un nombre de mosquées suffisant”
C’est ainsi que la jeune femme balaie cette idée que les musulmans de France auraient du mal à pratiquer leur foi. “Les musulmans ont le droit de s’organiser, contrairement à certains pays arabes. Il y a un nombre de mosquées suffisant, nombre qui est en outre établi en partenariat avec les services municipaux. Qu’il y ait des comportements islamophobes individuels, oui, bien sûr”. Langue de bois, habileté politique? Non. Parce qu’elle dénonce tout aussi facilement les stigmatisations ou les non-dits d’une société française, dont elle est issue. “Quand j’ai été virée d’un cours à cause de mon voile, je savais, tous savaient que c’était hors la loi mais parmi les élèves personne n’a rien dit. Par rejet? Par peur, préfère penser la jeune femme.

Sayida Ounissi entend être la porte-parole de tous les Tunisiens en France. Ainsi, affirme-t-elle, que si la jeune Amina, ex-Femen qui avait défrayé la chronique au tout début de la révolution, venait à lui demander de l’aide, elle s’y soumettrait sans hésitation. “Amina est une jeune fille que je perçois très malheureuse et qui a sans nul doute été manipulée, utilisée, puis totalement lâchée. Bien sûr que je lui porterai secours. Je suis féministe et nous n’avons pas besoin de jeunes européennes qui viennent se montrer seins nus, devant notre Parlement, à Tunis. Le mouvement féministe tunisien existe depuis 1920. Il est extrêmement actif et très au fait des problématiques locales. Le prisme occidental n’est pas forcément opportun”.

Franche, Sayida. Mais aussi sans peur. La campagneNot in my name, qui s’est développée après l’assassinat du français Hervé Gourdel? “Bien sûr que j’ai été pour, assure cette jeune femme ultra-connectée. Les Français ont du mal à comprendre ce genre d’initiative typiquement anglo-saxonne, surtout les jeunes issus de l’immigration, en raison des rapports douloureux et compliqués que la France a entretenu, notamment avec l’Algérie, mais il faut aller de l’avant, il faut se réinventer”. Ennahda a misé sur le potentiel d’une inconnue. Il se pourrait fort bien que les urnes lui donnent raison, et un nom.

 

 

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