« Frères et sœurs, bonsoir ! » Lorsque, le 13 Mars 2013, Jorge Mario Bergoglio s’est présenté aux fidèles par cette salutation aussi informelle lancée depuis le balcon de Saint-Pierre, le monde entier s’est rendu compte que quelque chose avait changé au Vatican.
Son travail d’évangélisation avait amené Karol Wojtyla à davantage parcourir le monde que tous les précédents papes réunis (plus de 170 visites dans 129 pays). Il était le Pape du voyage. Ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger avait la garde de la doctrine. Il était le Pape théologien. Bergoglio, lui, apparaît d’ores et déjà comme le Pape de la communication.
En quelques mois de pontificat de François Premier, les fidèles ont réalisé qu’il était désormais possible de recevoir chez soi un coup de téléphone du chef de l’Église catholique ou de faire un « selfie » avec lui et de le poster sur Instagram. C’est une révolution. Le Pape est soudain devenu plus « accessible ». Les grandes moments de cette révolution sont bien connus : coups de téléphone à des inconnus, Ford Focus sans escorte, sac noir sous le bras en grimpant dans l’avion, décision de ne pas déménager dans le Palais apostolique, lavage des pieds de deux jeunes filles musulmanes, lettre au fondateur du quotidien La Repubblica, Eugenio Scalfari, etc. Tels sont les quelques exemples d’une toute nouvelle façon de faire et d’aborder la mission spirituelle du Saint Père.
Selon le Père Antonio Spadaro, rédacteur en chef de Civilisation catholique, le magazine des Jésuites, « le Pape François, en fait, plutôt que de “communiquer”, crée des “événements de communication”, dans lesquels ceux qui reçoivent son message sont activement impliqués ».
Si la dynamique unidirectionnelle du message religieux, lequel passe du clergé aux fidèles
selon un rapport de pouvoir toujours clair et bien défini, peut sembler remise en cause par cette nouvelle manière de faire, celle-ci semble en tout cas porter ses fruits, au moins du point de vue de la popularité du souverain pontife. Des statistiques récentes montrent en effet que Bergoglio plaît énormément, et même aux Américains, le peuple pourtant le moins « papiste » de l’histoire, qui a toujours eu les plus grandes difficultés à comprendre le catholicisme traditionnel, ses rituels et son langage. La « Perestroïka » de Bergoglio semble donc plutôt bien fonctionner.
Le rapport de l’Église actuelle avec les médias a été défini par le décret Inter Mirifica, datant de 1963. Celui-ci stipule que la télévision, la radio, les journaux, « s’ils sont bien utilisés, peuvent fournir de grands avantages pour l’humanité, parce qu’ils contribuent grandement à enrichir l’esprit, ainsi qu’à diffuser et consolider le royaume de Dieu ». Une leçon que le Pape François garde à l’esprit, de sorte que, célébrant le 50e anniversaire du document, il a évoqué ce décret en parlant d’un texte montrant à quel point l’Église était attentive à « la communication et à ses instruments, dans une optique d’évangélisation ». Dans le même temps, Bergoglio a déclaré que les hommes et les femmes d’aujourd’hui sont « parfois un peu déçus par un christianisme qui leur paraît stérile, peinant à communiquer de façon significative ce qui donne le sens profond de la foi ». Tout cela, dit-il, «nécessite une formation approfondie et qualifiée des prêtres, religieux, religieuses et laïcs dans le domaine de la communication ». En bref, la communication apparaît comme un défi central pour l’avenir de l’Église. Une grande part de l’action du nouveau Pape peut ainsi s’expliquer à la lumière de cet enjeu.
Humilité ostentatoire, rejet des paillettes, recherche de la simplicité à tout prix… tout indique chez le Pape une volonté de donner une certaine coloration à l’actualité, comme si François se voulait en quelque sorte le Pape de l’après-crise économique. Dans une Europe où l’opinion publique se montre de plus en plus méfiante vis-à-vis de la « caste » des dirigeants, Bergoglio semble vraiment avoir saisi l’esprit du temps en se présentant paré des vertus de la sobriété.
Pour le théologien argentin Jorge Oesterheld, cette nouvelle communication du Pape n’est cependant pas superficielle et désincarnée mais se trouve au contraire profondément enracinée dans son propre message religieux et philosophique. Et de citer les paroles du Pape à Rio de Janeiro: « Dieu est réel et se manifeste dans “l’aujourd’hui” (…). “L’aujourd’hui” est le plus proche de l’éternité, plus encore, “l’aujourd’hui” est l’étincelle d’éternité. Dans “l’aujourd’hui” se joue la vie éternelle ». Ainsi, pour Oesterheld «lorsque nous sommes attentifs à “l’aujourd’hui” de nos vies, de nos sociétés, de nos communautés ecclésiales, nous ne sommes pas en train de nous distraire dans l’anecdotique ou le superficiel, nous recherchons pour notre temps et notre réalité la présence vive de Dieu. Annoncer le message de Jésus dans les médias ne consiste pas à chercher dans le passé des phrases ou images qui éclairent le présent, mais se plonger dans le présent pour y rencontrer Dieu proche qui marche à nos côtés ».
En ce qui concerne les réseaux sociaux, là encore, le Pape frappe fort. Son compte Twitter @pontifex en neuf langues a dépassé à l’heure actuelle les 5 millions de « followers »… À ce propos, le Père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a notamment déclaré : « Avec son style de vie très simple, le Pape n’est pas un grand utilisateur de nouvelles technologies et pourtant sa prédication est particulièrement adaptée pour être relancée par tweets ». Une situation qui ne manque pas de soulever certaines interrogations : à un moment où plusieurs intellectuels, journalistes et sociologues se penchent sur les effets négatifs de Twitter sur la culture, celui qui devrait être le porteur du message le plus élevé serait ainsi, lui-même, parfaitement en phase avec la dictature des 140 caractères ?
Quoiqu’il en soit, là encore, le mécanisme fonctionne, grâce à l’image d’une certaine spontanéité remarqué immédiatement par les initiés. « Le corps ne ment pas. Je repense notamment au moment où il a pris dans ses bras un nouveau-né : en une fraction de seconde, j’ai été convaincue que cet homme est parfaitement authentique », déclarait ainsi Lorella Zanardo, auteur du documentaire Le corps des femmes. Giorgio Gori, ancien directeur de la chaîne de télévision berlusconienne et ex « spin doctor » de Matteo Renzi, déclarait de son côté : « Je ne pense pas que Kennedy, Martin Luther King ou Pertini ont eu des agences de communication derrière eux. Le charisme ne se crée par artificiellement »…. ou une communication de pro ?
La communication du Saint-Siège, si elle est puissante, est aussi passablement « baroque ». Le Vatican dispose en effet de six départements différents pour gérer sa communication : une agence de presse, un centre de télévision, Radio Vatican, qui diffuse dans le monde entier, un journal historique, L’Osservatore Romano, un site internet et un Conseil Pontifical pour les Communications sociales qui exerce un rôle plus académique que politique. Ces organismes ont un grand degré d’autonomie qui les empêche ainsi de coopérer les uns avec les autres, quand ils ne sont tout simplement pas en concurrence directe. La figure de proue de ce labyrinthe communicationnel est le père Federico Lombardi, un Jésuite qui, en 2006, est devenu le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, et qui est également le neveu de Riccardo Lombardi, lui aussi Jésuite et propagandiste infatigable surnommé « le microphone de Dieu ».
À la fin de l’année dernière, le représentant de la Commission pontificale pour l’économie, mise en place par le pape François, confiait ainsi que le Vatican avait fait appel au cabinet McKinsey & Company pour moderniser cette communication, et directement conseiller le Pape, le tout en étroite collaboration avec les différents départements concernés. Avec l’agence McKinsey & Company, on est assez loin de l’authenticité parfaite mais plus proche des véritables « pros de l’image ». Le journaliste américain Duff McDonald n’hésite pas à qualifier cette agence de « protagoniste le plus influent des transformations les plus importantes du capitalisme dans les cent dernières années ».
Quoi qu’il en soit, bien sûr, l’évolution actuelle de la communication du Vatican laisse plusieurs questions en suspens : la solennité du rituel, la langue sacrée, une certaine aura de mystère constituant le socle de l’Église seront-ils préservés ? Adopter de nouveaux modèles de communication ne revient-il pas à adopter, en plus du langage, les valeurs du monde contemporain ? Un message religieux peut-il indifféremment utiliser un outil de communication ou un autre ? La dimension du sacré peut-elle subsister sans une certaine distance entre le clergé et ses ouailles ? À force de chercher des moyens plus efficaces de diffuser une pensée profonde ne risque-t-on pas de la diluer et de céder ainsi au superficiel ? Twitter, Instagram – comme dans le passé la télévision ou à la radio – sont-ils utilisés par l’Église ou l’Église est-elle utilisée par eux ?
Ce n’est qu’en répondant à ces questions que l’on saura bientôt si la nouvelle stratégie médiatique du Pape François n’est qu’une communication vide de sens ou une nouvelle évangélisation adaptée à son époque.