L’éditeur du marquis de Sade et d'”Histoire d’O” est mort samedi à l’âge de 88 ans à Toulon, a annoncé l’une de ses filles, Camille Deforges. (AFP)
Eclectique, marginal, touche à tout, Jean-Jacques Pauvert, âgé de 88 ans, s’est éteint le samedi 27 septembre dans un hôpital de Toulon. Il s’était retiré depuis plusieurs années dans sa maison de villégiature située sur la côte du Lavandou (Var).
Lui qui se disait « éditeur malgré lui », restera dans l’histoire ce métier comme celui qui a osé briser un tabou au XXe siècle et sortir l’œuvre de Sade de l’Enfer, dans laquelle elle était remisée, en la publiant sous son nom, d’où un procès retentissant en 1958 qui a permis de faire reculer la censure en France. En tant qu’écrivain, il fut aussi l’auteur d’une Anthologie historique des lectures érotiques, de l’Antiquité à nos jours, parue en cinq volumes, chez Stock, de 1979 et 2001.
GOÛT PHYSIQUE DES LIVRES
L’édition est un métier qu’il a rencontré très jeune, sous les meilleurs auspices mais à une époque très troublée. Né le 8 avril 1926 à Paris, non loin de la butte Montmartre, le jeune Jean-Jacques Pauvert était un élève médiocre au lycée Lakanal de Sceaux, quoique déjà un gros lecteur. Issu d’une famille d’intellectuels, avec un grand-père paternel, professeur à l’école Alsacienne et un grand-oncle maternel André Salmon, ami d’Apollinaire et de Max Jacob, il a été conduit, à 15 ans à peine, dans le bureau de Gaston Gallimard, par son père journaliste qui le connaissait, à la fin de 1941. « Ainsi, Monsieur, vous voulez donc travailler dans le livre ? », l’apostrophe l’éditeur de Proust. Tel est le prologue de La traversée du livre, le premier volume des mémoires de Jean-Jacques Pauvert qui s’arrête en 1968 (Viviane Hamy, 2004).
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Cette première rencontre sera suivie par de nombreuses autres. L’adolescent reste muet, mais dit oui de la tête. Dans les premiers jours de 1942, le voici propulsé apprenti vendeur à la librairie Gallimard du boulevard Raspail. « Je me trouvais un peu dans la situation d’un adolescent amoureux des fleurs que l’on fait du jour au lendemain coursier chez Interflora », écrit-il. Très vite l’adolescent se trouve à l’aise dans ce milieu. A son appétit de lecture se mêle désormais le goût physique des livres. Outre ses courses et divers petits trafics, il s’adonne à la bibliophilie et se constitue sa première bibliothèque surréaliste. Il sert aussi de courrier pour la Résistance et se retrouve emprisonné trois mois à Tours, à cause d’un tract qui traînait dans ses poches.
Il a l’inconscience de ses seize ans et fait de nombreuses rencontres. « On entrait comme dans un moulin à la NRF (on ne disait pas Gallimard, à l’époque). Je me baladais dans les couloirs et j’ouvrais les portes de Paulhan ou Queneau ». Il allait voir Camus « beau visage de Méditerranéen philosophe » dans son petit bureau sous les combles. Il croise Marcel Aymé, Montherlant, Sartre, Genet, avec lequel il sympathise. C’est aussi pendant la deuxième guerre mondiale qu’il lit sous le manteau, les Cent Vingt Journées de Sodome, de Donatien de Sade, dans une collection hors commerce. C’est un choc, une « sorte d’ébranlement physique », comme l’écrira plus tard Annie Le Brun, qui décide de sa vocation à venir.
DÉMORALISER LA JEUNESSE, CONTAMINER LES FEMMES DU PEUPLE
En 1945, il fonde Le Palimugre, qu’il pense d’abord comme une revue, avant qu’il ne devienne une maison d’édition et une librairie. Ce mot obscur, sorti du cerveau de Jean-Jacques Pauvert, un matin, au réveil, ne veut rien dire, mais cela sonne bien et il le garde. A 19 ans, il écrit aussi un manifeste dans lequel il clame : « Nous n’avons pas envie de nous engager. Nous n’avons pas l’esprit de sacrifice. Nous n’avons pas le sentiment du devoir. Nous n’avons pas le respect des cadavres. Nous voulons vivre. Est-ce si difficile ? Le monde sera bientôt aux mains des polices secrètes et des directeurs de conscience. Tout sera engagé. Tout servira. Mais nous ? nous ne voulons servir à rien. »
Les éditions du Palimugre se transformeront en éditions Jean-Jacques Pauvert, puis en éditions Pauvert, reprises définitivement par Hachette en 1979. L’éditeur en herbe peut s’enorgueillir de ses premiers titres : Explication de L’Etranger, de Jean-Paul Sartre et Sur les femmes, de Montherlant. Grâce à un groupe d’amis, parmi lesquels figure Bernard Gheerbrandt, libraire de La Hune, il fait la connaissance d’une jeune fille Christiane Sauviat. Mère de trois de ses enfants, Christiane Pauvert (décédée en 2008) deviendra la précieuse auxiliaire des éditions qui portent son nom. D’autres découvertes ou redécouvertes suivent : Les Bonnes de Jean Genet, Le Voleur de Georges Darien, Le Bleu du ciel de Georges Bataille. Avec succès, il se lance dans une republication du Littré, tombé dans le domaine public, sous un nouveau format et qui prend le nom de Littré-Pauvert.
Pendant l’hiver 1953-54, il est contacté par une vieille connaissance Jean Paulhan qui lui confie un manuscrit intitulé Histoire d’O, d’une certaine Pauline Réage et l’assure qu’il n’en est pas l’auteur. Ce classique de l’érotisme – écrit par une femme – est éreinté par la presse bien-pensante, du Nouvel Observateur à L’Express. L’éditeur mettra vingt ans à écouler le tirage, avant que l’on n’apprenne l’identité de l’auteure, la très discrète Dominique Aury, maîtresse de Paulhan et secrétaire de la NRF. Le livre est interdit à la vente aux mineurs.
Pour Jean-Jacques Pauvert, « Donatien de Sade tient une place énorme, unique dans la littérature non seulement française, mais universelle. » Sa décision est prise : il entend éditer en intégralité l’œuvre – pourtant interdite – de Sade, sous son nom. Il débute par l’Histoire de Juliette, de 1947 à 1949. Tous ses amis crient au casse-cou : il risque la prison. Les critiques sont muets, les libraires le boudent. « Pas de cette littérature chez moi », lui dit Corti, alors qu’il cherchait à placer quelques volumes dans sa librairie de la rue Médicis. Il persévère. A droite, on l’accuse de démoraliser la jeunesse, à gauche, de contaminer les femmes du peuple par les vices des bourgeoises. Traîné en justice, suspendu de ses droits civiques, mais défendu par le meilleur avocat de l’époque, Me Maurice Garçon, expert des lois sur la censure, il achève néanmoins son entreprise en 1955.
En 1958, la cour d’appel déclare que « Sade est un écrivain digne de ce nom » : le divin marquis est enfin reconnu. Dans le même temps, la cour confirme la condamnation de Pauvert mais sans amendes, ni destruction des livres. Bref, ce jugement historique, après « onze ans de luttes dans l’obscurité », délimite pour la première fois l’existence d’une littérature pour adulte. Jean-Jacques Pauvert peut continuer à éditer Sade, sans entrave.
DIRE TOUT HAUT DES VÉRITÉS QUI DÉRANGENT
« J’étais un remarquable typographe », écrit-il. Dans son amour du livre, Pauvert attache une grande importance à la forme des livres. « Les livres français étaient d’une laideur inouïe. (…) J’avais pour principe, jusque dans les années 1970, de ne jamais faire deux livres sous la même couverture. Quand on a créé la collection “Libertés” avec Jean-François Revel, Pierre Faucheux a fait une couverture en papier kraft, avec une tranche noire et des gros caractères en couverture. Les volumes sont recherchés aujourd’hui, mais beaucoup de libraires n’en voulaient pas, à l’époque. »
Avec la revue Bizarre qu’il a reprise en 1955, à l’éditeur Eric Losfeld, Pauvert multiplie les coups et découvre de nouveaux talents comme Chaval, Topor ou Siné. Il consacre des numéros spéciaux à « l’affaire Rimbaud » ou à Raymond Roussel dont il republie Impressions d’Afrique. En parallèle, il crée la Bibliothèque internationale d’érotologie et donne libre cours à son amour pour le surréalisme. Il devient proche d’André Breton qui est l’homme de lettres qui l’a le plus marqué. Une de ses plus grandes fiertés est d’avoir publié pour la première fois au complet, les différents Manifestes du surréalisme. En 1963, il reprend L’Ecume des jours que les éditions Gallimard avaient laissé tomber et devient l’éditeur des principales œuvres de Boris Vian.
Franc tireur de l’édition, il n’a jamais adhéré au syndicat national de l’édition, Pauvert aimait dire tout haut des vérités qui dérangent. En 1965, il avait donné un entretien retentissant – toujours d’actualité – à l’hebdomadaire Candide, sur l’industrialisation de l’édition : « Non, ce n’est pas l’édition qui est malade, ce sont les éditeurs. Jamais les livres ne se sont si bien vendus, et ils se vendraient deux fois mieux encore, si on ne publiait pas n’importe quoi. » Mais contrairement au patron de Minuit Jérôme Lindon, avec lequel il avait acheté une camionnette pour faire le tour des libraires en Bretagne en 1955, il s’est laissé griser par le succès. En 1972, il a même eu le Goncourt avec L’Epervier de Maheux, de Jean Carrière, alors que sa maison était au bord de la faillite. Avant cela, il avait cédé en 1969 les droits de Papillon à Robert Laffont, car il n’aimait pas l’auteur, mais avait conservé un pourcentage sur les ventes.
Dans sa vie, Jean-Jacques Pauvert a tout osé, beaucoup gagné, autant perdu, c’est la règle d’un métier où le talent compose avec la chance. En 1973, il a cédé la majorité du capital de sa maison à Hachette et il se retire définitivement en 1979. Editeur atypique au sein d’une profession feutrée, il a enflammé bien des esprits, mais sa légende reste gravée, plus aucun juge n’éteindra son nom dans les lettres françaises.