Invité du journal télévisé de France 2 le 26 août, quelques heures après la clôture du G7 à Biarritz, Emmanuel Macron s’est livré à l’exercice périlleux, mais désormais traditionnel, de l’«en même temps». Objectif : tenter d’expliquer les centaines de blessés (parfois graves, voire mutilés) survenus en marge du mouvement des Gilets jaunes.
Evoquant une «folie collective» qui serait apparue lors de certains épisodes de la mobilisation, le président de la République affirme : «La violence était telle qu’il n’était pas possible de dire, d’un seul coup : “On arrête les LBD, on désarme” […] Il fallait quand même que l’ordre soit tenu. Et il n’a pas été tenu d’une manière où il y a eu ce que j’appellerais des violences irréparables. Le pire a été évité grâce [au] professionnalisme [des forces de l’ordre].»
Et le chef de l’Etat d’évoquer, en même temps, les «blessures […] inacceptables» survenues parmi les forces de l’ordre et les manifestants, appelant à mener des enquêtes et à prendre d’éventuelles sanctions le cas échéant. «Tout au long de cet période, il n’y a pas eu de mort à déplorer», poursuit-il, mettant toutefois de côté l’affaire Steve, «entre les mains de la justice», et la «mort suspecte» de Zineb Redouane, octogénaire décédée à Marseille après avoir été touchée au visage par des morceaux de grenade lacrymogène alors qu’elle se trouvait à sa fenêtre, un jour de manifestation.
Avocats, politiques et blessés contestent la vision d’Emmanuel Macron
Interrogé par France Info le 27 août, Arié Alimi, avocat membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme et conseil de plusieurs Gilets jaunes, a évoqué des «mots terribles et profondément dangereux» d’Emmanuel Macron. «Que penseriez-vous d’un homme qui, face aux familles de ces personnes mortes, mutilées, qui ont perdu un membre ou un œil, leur dirait qu’il n’y a pas eu de violences irréparables ?», a-t-il aussi questionné.
L’avocat et conseiller régional Nouvelle Aquitaine Europe-Ecologie Les Verts Jean-François Blanco s’est également scandalisé : «Ainsi perdre une main, perdre un œil ne serait pas “irréparable”. La novlangue insupportable de Macron pour évoquer les “mutilations” infligées aux victimes des violences policières.»
Le chef de file du parti Gauche démocratique et sociale Gérard Filoche a lui publié une photo montrant les portraits de dizaines de blessés lors des mobilisations des Gilets jaunes, avec Emmanuel Macron au premier plan.
Pour le psychanalyste Gérard Miller, proche de La France insoumise (LFI), «ce qui est sidérant dans le choix d’un adjectif aussi inapproprié, c’est l’absurde déni qu’il suppose et qui ne trompe personne».
La conseillère de Paris LFI Danièle Simonnet s’interroge elle aussi : «Pour Macron, la police n’a pas commis de «violences irréparables» durant le mouvement des Gilets jaunes ? Et Zineb Rédouane ? et les yeux en moins à cause des LBD ?»
Le journaliste David Dufresne qui tient à jour le nombre de manifestants blessés depuis le mois de novembre 2018 a réagi sur Twitter : «”Inacceptables mais pas irréparables”, vraiment ? Rappelons : – deux morts, – 24 éborgnés, – 5 mains arrachées, – des estropiés, des lycéens blessés déscolarisés, des mutilés désocialisés, etc.»
Fiorina Lignier, éborgnée lors d’une manifestation parisienne des Gilets jaunes (et qui a par ailleurs été numéro deux sur la liste identitaire de Renaud Camus «La Ligne claire» pour les européennes de 2019), a diffusé sur Twitter un cliché de son scanner du crâne, en affirmant : «Macron parle de violences “inacceptables mais pas irréparables”. J’ai perdu un œil et mon visage n’est plus le même, ce n’est pas “réparable”.»
En neuf mois de manifestation des Gilets jaunes, le bilan est de 11 morts (la plupart lors d’accidents de la route) selon Libération et de plus de 4 100 blessés selon Mediapart (en additionnant manifestants et forces de l’ordre).