Jean-Michel Blanquer, dans un propos apparemment équilibré, voire conservateur, dit vouloir intégrer les élèves au plus tôt (dès 3 ans) pour renforcer grammaire et mathématiques au primaire, poursuivre et approfondir ces apprentissages au collège, où les élèves obtiendront des « compétences », pour apprendre au lycée à exercer un jugement critique, notamment par l’étude des médias, en tenant compte des « grands enjeux contemporains » : « révolution numérique » et « transition écologique ». Il s’agit, en réalité, d’une habile présentation en psychologie inversée.
L’objectif de M. Blanquer est de faire de l’École de 2022 un vaste laboratoire idéologique dans lequel on trouvera une population-témoin (les REP et REP+, préservés de ces expérimentations) et une population cobaye, pour servir les idéologies pédagogiques. Ainsi, les lycées professionnels ne sont intéressants que parce qu’ils permettront de « tirer pleinement parti des opportunités offertes par les grandes transformations économiques et sociales du XXIe siècle » (comprenez : le numérique), tandis qu’il faudra enseigner à discerner les bonnes et les mauvaises informations… On lit, par exemple, dans le chapitre central intitulé « Prendre la mesure de la révolution numérique » : « Les enjeux de la révolution numérique et de la transition écologique ne sauraient être sous-estimés dans l’évolution de notre système éducatif. » Sans être sous-estimés, ont-ils vocation à devenir ceux de l’École, dont le seul enjeu devrait être de permettre aux futurs citoyens d’opérer des choix libres et d’agir en pleine conscience de leurs actes, non d’apprendre à utiliser et à fabriquer des outils qui leur dicteront leur pensée et leur conduite ?
M. Blanquer pose également comme un dogme le transhumanisme : « Les progrès de l’intelligence artificielle vont nous amener à concevoir de nouvelles complémentarités entre l’homme et la machine. » Ne vaudrait-il pas mieux introduire de l’éthique, voire freiner l’évolution frénétique de l’intelligence artificielle plutôt que de l’introduire à l’École ? Pour notre ministre, la langue – en réalité, le langage – n’est que le code, et le code informatique, tandis que les mathématiques ne sont perçues qu’en matériel binaire. À tel point que M. Blanquer a décidé que « […] les séries générales actuelles, dont la pertinence n’était plus avérée dans les choix d’orientation des élèves […] », selon lui, devaient être supprimées. Parallèlement, il crée un nouveau profil inquiétant car ce n’en est pas un : le profil « numérique ». On en vient, ainsi, à une École de la République fantasmée, où l’égalité des filières prévaut avec un seul profil d’élève. Plus besoin de penseurs, artistes, chercheurs, expérimentateurs, observateurs ou économistes : un exécutant numérique. Cette panacée est présentée sous l’aspect d’un « baccalauréat d’excellence », avec souplesse et liberté pour l’élève, qui choisira d’apprendre ce qui lui fait « envie ».
Tout cela n’est qu’un leurre pour augmenter la réalité des idéologues du XXIe siècle, pour lesquels les trois dimensions sont celles de la logique comptable (production d’argent et de chiffres aisément manipulables), de l’uniformité froide (l’égalité est perçue comme un effacement des différences, non une acceptation) et de la soumission inconditionnelle (la masse du peuple méprisé doit obéir sans hésiter à des groupes de pression indéterminés dont les objectifs, pourtant, ne le sont pas) ! Tout cela repose sur l’idéal maçonnique explicitement présent dans cette démarche : symbole, rituel, tolérance, pacifisme, universalisme et élitisme grâce au Beau, au Bon et au Juste !
Mais la laïcité qu’affectionne tant M. Blanquer n’invite-t-elle pas à ne faire de prosélytisme pour aucune forme de croyance, fût-elle maçonnique ?
Bertrand Dunouau – Boulevard Voltaire