J’appartiens pour moitié à une vieille famille de Topéziens de souche. On ne le sait plus, ça ne se dit plus mais il y en eut. L’émigration migratoire snob et internationale nous a obligé à vendre notre dernière maison, tant la vie devenait intenable dans le centre et la mairie m’a fait une entourloupe en me piquant la tombe familliale avec mes aîeux sous un prétexte fallacieux. Mon arrière grand-père avait eu la mauvaise idée de se faire enterrer en regardant la mer, la tombe surplombait la Méditerranée… Mon notaire m’a expliqué que désormais, il y en a qui paye très cher la municipalité pour en faire autant, d’où mon expropriation.
Mais à Saint-tropez, j’ai connu un autre drame: les sandales Rondini! D’un an à dix ans, comme ma mère enfant, j’ai été obligée d’avoir le même modèle de sandale, un peu style prêtre, ne variait que la couleur: blanches ou dorées. Comme elles étaient faites sur mesure, au printemps, on allait voir monsieur Rondini pour passer commande. Dans les premières années, je n’ai pas réalisé, c’est vers cinq ans que je me suis rebellée, tant je les trouvais moches.
C’était une époque bénie, où les fillettes pouvaient aller seules acheter du pain ou des glaces dans les alentours, c’est ainsi que je copinais avec beaucoup de commerçants, j’étais plus connue que Brigitte Bardot, chez Sénéquier, j’étais servie gratuitement..
J’avais pour amis et héros des pêcheurs de la Ponche Certains venaient m’apporter les coquillages de leur fond de filet: des trésors! Et ils étaient pieds nus…
En rez-de-chaussée de la maison, il y avait une grosse porte toujours ouverte. Avant de sortir, j’enlevais mes sandales et les glissais derrière, au retour, je les remettais. Je me lavais les pieds comme je pouvais. J’ai dû me faire piquer tardivement et me suis défendue par ” les pêcheurs, le font moi aussi”.
Ma famille ne pouvant ostraciser ces hommes simples et charmants, ou craignant que j’aille leur répéter qu’on disait que c’étai mal de crirculer sans chaussures, j’étais déjà un peu syndicaliste… a capitulé.
J’ai porté longtemps des sandales Rondini pour aller à la messe ou chez tante Julie, après quoi, je leur préférais le luxe des Bata ou André, achetées ailleurs car Saint-Tropez commençait à jouer les marques chères.
C’est ainsi, je vécus des étés économiques et pieds nus, comme Brigitte Bardot, qui m’imitait. Elle n’a pas arrêté, elle avait des cheveux aussi longs que les miens, faisait ses course au marché de la place des Lices, etc.
Mais l’hstoire ne s’arrête pas là… Il y a dix ou quinze ans, ma fille débarque avec fierté pour me montrer ses nouvelles pompes, je hurle ; “ce sont des horribles Rondini, celles qui ont pourri mon enfance!
– -Toi qui ne connais jamais une marque, tu connais Rondini? C’est top mode! Les stars se les arrachent.”
Et c’est ainsi que j’ai découvert que le petit atelier Rondini était devenu une marque prisée et s’exportait dans le monde entier, sur le site, j’ai retrouvé mon modèle et beaucoup d’autres.
Et voilà pourquoi, j’ai toujours détesté les sandales.
Sybilline Bavastro