Les juges qui avaient permis de remettre en liberté le coauteur de la tuerie de Saint-Etienne-du-Rouvray n’ont fait qu’une stricte application des moyens mis à leur disposition par le code de procédure pénale. Paradoxalement, l’administration dispose de plus de pouvoirs que les juges pour éviter un drame. (…)
Comme le remarque le Huffington Post, certains voudraient organiser une chasse à l’homme (ou à la femme), même d’anciens ministres ou d’autres prétendus responsables politiques et députés qui aspirent à de hautes fonctions. Et qu’importe si, un appel du parquet ayant été interjeté, ce n’est pas un seul juge mais aussi un collège de trois autres magistrats spécialisés de l’anti-terrorisme qui ont, sur examen d’expertises, choisi d’autoriser un régime de semi-liberté.
Interrogée sur Europe 1, la présidente de l’Union syndicat des magistrats (USM) s’est faite très pédagogue pour expliquer comment des magistrats pouvaient décider de remettre en liberté un individu suspecté d’avoir des desseins terroristes. « Je sais que je vais dire est difficile à comprendre. Le principe, c’est la liberté », a-t-elle amorcé. « Si on ne peut pas maintenir quelqu’un en liberté parce qu’on sait qu’il va partir, ou qu’il va concerter, ou qu’il va recommencer… on peut envisager un contrôle judiciaire. Si on se dit que ça n’est pas suffisant, on peut envisage une assignation à résidence avec surveillance électronique. Et si toutes ces situations ne sont pas possibles, en dernier lieu il y a la détention. C’est vraiment dans ce sens là, c’est la prévention provisoire en dernier lieu ».
Or, constate-t-elle dans les faits, « en matière de terrorisme, on est à l’inverse ». Plus de 93 % des personnes mises en cause dans des affaires de terrorisme font l’objet d’une détention provisoire. Sur 285 personnes mises en examen parce qu’il existe des éléments graves ou concordants permettant de les suspecter, 7 seulement ont fait l’objet d’une surveillance par bracelet électronique. Il est donc difficile d’accuser les juges de laxisme.
Le problème n’est pas dans la personne des juges, mais éventuellement dans la procédure judiciaire qu’ils doivent appliquer. Lorsqu’il choisit pour faciliter sa réintégration d’assigner un individu à résidence avec bracelet électronique, le juge est contraint par le cadre de l’article 142-5 du code de procédure pénale qui l’oblige, sauf si la peine encourue est supérieure à 7 ans de prison (ce qui n’était pas le cas en l’espèce), à utiliser le type de bracelet prévu par l’article 723-8. Celui-ci vise un « procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du condamné dans le seul lieu désigné par le juge de l’application des peines pour chaque période fixée ».(…)
On peut s’étonner que les services de renseignement ne surveillent pas très étroitement les sept ou huit individus jugés dangereux qui faisaient l’objet d’un tel suivi judiciaire par bracelet électronique, dans leurs horaires de liberté surveillée. Mais il semble qu’au moins la pratique, si ce n’est les textes, interdit à l’administration de surveiller un individu qui fait déjà l’objet d’un contrôle judiciaire. C’est aussi pour cela que la judiciarisation des dossiers est si rare.
Paradoxalement, il est en ce moment plus efficace de laisser un individu en dehors du système judiciaire, que de tenter de l’envoyer en prison. Actuellement, selon le tableau de suivi de l’état d’urgence réalisé par l’Assemblée nationale, 539 personnes font l’objet d’une assignation à résidence, dont la quasi totalité doivent venir pointer au commissariat jusqu’à trois fois par jour (la police ne disposant pas encore de bracelets). Ça laisse toujours la possibilité de préparer et commettre un attentat entre deux pointages, mais ça limite la durée des déplacements, et surtout la mesure reste administrative, et peut donc toujours s’accompagner d’une surveillance étroite. Reste, pour que ce soit humainement possible, à ne pas multiplier déraisonnablement le nombre de personnes à surveiller.
Les condamnés sont considérés comme écroués, mais effectuent leur peine non détenus. Ils étaient au 1er juillet 10.642 placés sous surveillance électronique en aménagement de peine, et 315 en placement sous bracelet de fin de peine. Les détenus étaient à la même date au nombre de 69.375.
Les peines de moins de deux ans de prison – un an en cas de récidive – font l’objet d’un examen obligatoire de possibles mesures d’aménagement avant incarcération, les plus longues à des seuils de détention définis par le code de procédure pénale.
La surveillance électronique se fait au moyen d’un «bracelet», placé à la cheville. Il peut se dissimuler sous le pantalon et il est possible de se doucher ou de passer les portiques antivol de magasins avec.
Un boîtier fixe est installé par le service de probation et insertion de l’administration pénitentiaire (SPIP) au domicile du condamné, paramétré avec les heures de sortie autorisées par le juge. Si le condamné et son bracelet ne sont pas signalés à cette base aux heures prévues, une alarme est automatiquement envoyée au SPIP et un agent de probation contacte le condamné, ainsi que le juge d’application des peines (JAP). En cas de manquements, le JAP peut décider de sanctions, allant jusqu’au retour en prison.
Le directeur général du renseignement intérieur (DGSI), Patrick Calvar, a pointé mi-juillet devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015 les limites du contrôle judiciaire des personnes mises en examen dans les dossiers terroristes en parlant d’un «angle mort». Pour la DGSI, «il est nécessaire de prévoir des mesures de contrôle judiciaire qui soient très fortes et appliquées à la lettre».