Le quotidien La Libre Belgique a publié le 25 juillet, une tribune libre du Père Henri Boulad, le célèbre jésuite égyptien directeur du Centre Culturel Jésuite d’Alexandrie, ville où il est né en 1931. Cette tribune libre reprend le texte du discours qu’il a prononcé le 26 juin dernier au Capitole de Washington D.C., le bâtiment qui sert de siège au Congrès des États-Unis. C’est un texte lucide et remarquable, à méditer et à partager sans modération…
“Oui, l’Occident a du sang sur les mains, le sang de millions d’êtres humains, parce qu’il a trahi ses valeurs et piétiné ses principes pour des intérêts bassement matériels, politiques, économiques… Il y a vingt ans, j’écrivais un article intitulé : « Europe, prends garde de perdre ton âme ! ». Aujourd’hui, c’est quasiment fait. L’Occident a perdu son âme, ce qui lui a permis d’être le vecteur de la culture, de la civilisation, de l’humanisme, des valeurs spirituelles. Ce qui a fait de l’Occident le phare du monde, ce qui a produit l’Humanisme de la Renaissance et la Déclaration universelle des droits de l’Homme est en train de mourir lentement sous nos yeux. Ce qui a produit Michel-Ange, Pascal, Einstein, Beethoven, George Washington, Abraham Lincoln et tant d’autres génies de l’art, de la culture, de la civilisation est en voie d’extinction. L’Occident s’est trahi, vendu, sali pour de l’argent, du pétrole, du gaz, des dollars, des euros…
Mon maître à penser, Jésus, disait autrefois : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ! ». L’Occident a perdu son âme. Il l’a vendue au diable, sacrifiée à ces Mammons appelés : argent, pouvoir, puissance, cupidité… Quand une civilisation perd son âme, il ne lui reste plus qu’à disparaître, qu’à s’éteindre, qu’à s’écrouler. Et c’est ce qui se passe sous nos yeux. Un Français me disait récemment d’un air désabusé : « La France est moribonde, la France est morte ». Si l’Occident ne se reprend pas, s’il ne retrouve pas ses valeurs fondatrices, humanistes, morales, spirituelles… c’en est fait de lui. L’Occident s’écroulera comme se sont écroulés les grands empires d’autrefois. En trahissant ses valeurs, l’Occident se condamne à mort. Cela ne se voit pas encore, mais le ver est dans le fruit. L’intérieur est en état de lente décomposition. Un jour, ce magnifique édifice de la civilisation occidentale s’effondrera de lui-même… Lorsque l’être humain n’est plus au centre d’une civilisation, cette civilisation, si prospère qu’elle paraisse, est condamnée à disparaître à plus ou moins brève échéance.
Aujourd’hui, l’être humain n’a plus aucune valeur. Cent morts, mille morts, dix mille morts… peu importe. L’essentiel c’est la conquête d’un territoire, l’accès à un gisement de gaz ou de pétrole. Cent mille morts, comme en Syrie aujourd’hui ; un million de morts, comme en Irak hier ; deux millions de morts, comme au Soudan avant-hier… Tout cela ne compte pas.
L’Occident a du sang sur les mains… et au lieu de se reprendre, de revenir à la raison, de faire son examen de conscience, il poursuit sa politique homicide et suicidaire. Il lui faut à n’importe quel prix le Moyen-Orient, cette région maudite, où l’or noir coule à flots. Seuls comptent ses intérêts géo-politico-stratégiques. Mais où est l’Homme dans tout ça ? Il compte si peu, si peu ! La tâche la plus urgente aujourd’hui est de retrouver le sens de l’Homme, de redonner à celui-ci sa place centrale dans notre vision du monde, de repenser nos politiques, nos économies, nos stratégies en fonction de l’être humain.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, en comptant ses 80 millions de morts, l’Europe a été frappée de stupeur. Elle s’est alors demandée ce qui s’était passé, quel démon l’avait possédée, quelle folie meurtrière s’était emparée d’elle. L’Allemagne a alors enfourché l’association du Réarmement moral, pour éradiquer le mal à sa base. Plutôt que de verser des larmes de crocodile sur ce gâchis, sur cette tragédie, l’Allemagne a compris que c’était dans un ressourcement moral, dans un sursaut spirituel, dans un supplément d’âme que se trouvait la solution. C’est exactement ce dont nous avons besoin aujourd’hui. L’Occident saura-t-il retrouver ses racines humanistes et spirituelles ? Saura-t-il se remettre en question ? Saura-t-il faire sa révolution, à l’instar de celle d’Égypte, qui a ouvert un chemin ? Quand un peuple se sent trompé par ses dirigeants, floué par ceux qu’il a élus “démocratiquement”, ces élus perdent toute légitimité et méritent d’être destitués et condamnés pour trahison. Il est grand temps de sortir de notre apathie, de mobiliser une opposition, de descendre dans la rue par milliers et millions, pour hurler notre colère, faire éclater notre indignation. Il est grand temps de démasquer l’hypocrisie des médias et de ceux qui les manipulent – mafias, géants de la finance et politiciens véreux – pour faire la lumière, crier la vérité, établir le droit et la justice.”
Notre monde va mal, notre monde est malade, moribond ! Réveillons-nous. Il est moins cinq !