- La Cour de cassation a confirmé mercredi le licenciement pour faute grave d’une salariée voilée de la crèche Baby-Loup. Que pensez-vous de cette décision? S’agit-il d’une victoire pour la laïcité?
Malika Sorel: La situation que nous vivons est surréaliste. La République est laïque – c’est même inscrit dans sa Constitution -, et nous en sommes réduits à nous réjouir lorsque la Justice nous autorise à appliquer la laïcité. Parler de victoire pour la laïcité, c’est aller un peu vite en besogne. C’est seulement un pas qui va dans le bon sens, celui de la cohérence.
Cette décision règle-t-elle définitivement la question de la laïcité dans les entreprises? Quelles sont les ambiguïtés qui demeurent?
Cette décision va simplement permettre à Baby Loup de continuer d’exister pour peu que les élus, sur place, s’attellent enfin à lever les derniers verrous qui persistent sur le plan des financements. Cette décision n’est d’aucun secours pour les entreprises de droit privé, qui sont pourtant de plus en plus soumises à des revendications religieuses qui introduisent des contraintes de fonctionnement et portent parfois atteinte à la cohésion des équipes. C’est de notoriété publique, mais une fois encore, le législateur, au lieu d’anticiper pour éviter les tensions – ce qui est son rôle -, attend qu’elles se produisent.
Il faut garder à l’esprit que les Français se sont sécularisés après des siècles de longs combats, dont une guerre fratricide entre catholiques et protestants. Aussi, voient-ils d’un très mauvais œil l’accroissement sans précédent de signes extérieurs qui manifestent une appartenance religieuse dont, entre autres, un «signe extérieur fort tel que le port du foulard», pour reprendre la qualification exacte qui a été employée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (arrêt Lucia Dalhab, 15 février 2001). Dans le même arrêt, la Cour développait par ailleurs la question de fond posée par le voile: «le port du foulard est imposé aux femmes par une prescription coranique qu’il est difficile de concilier avec le message de tolérance, de respect d’autrui, d’égalité et de non-discrimination que, dans une démocratie, tout enseignant doit transmettre à ses élèves». Nous sommes là au cœur de l’identité culturelle des Français et de bien d’autres peuples européens chez lesquels le statut actuel de la femme est, là aussi, fruit de plusieurs siècles de combats pour la liberté et l’égalité. Comme chacun sait, en France, bien davantage que dans d’autres pays occidentaux, ce sujet est hautement sensible. Avant même qu’elle ne conquière sa liberté au sens où nous l’entendons aujourd’hui, la femme française était pleinement intégrée dans la vie de la cité, aussi bien dans les campagnes qu’à la ville où elle pouvait tenir salon littéraire. La femme française d’aujourd’hui est la descendante directe d’Agnès Sorel qui avait libéré les corps. Depuis, la beauté que la nature a conférée à la femme n’a plus à être cachée. Bien d’autres évolutions pourraient être citées qui ont participé à forger le regard que les Français portent sur eux-mêmes, sur les autres et sur le monde – c’est-à-dire, leur identité culturelle.
Faut-il légiférer sur cette question de la laïcité?
84 % des Français sont favorables à une loi qui interdit les signes religieux ou politiques dans les entreprises privées (Institut BVA, octobre 2013). Il faut permettre à tous ceux qui souhaitent adopter la laïcité comme principe d’organisation de le faire en toute sécurité juridique. C’est un impératif absolu pour peu que l’on souhaite préserver la paix sociale, car nous ne sommes plus dans la situation où une culture et des fondamentaux communs faisaient que chacun comprenait de lui-même où sa liberté commençait à empiéter sur celle des autres. Comme l’a très bien exprimé le Procureur Général Jean-Claude Marin lors de l’audience en plénière de la Cour de cassation, il convient en effet de distinguer entre «croyance et manifestation de cette croyance». Ce qui se traduit concrètement par l’existence d’un «for interne» et d’un «for externe». Et le Procureur Général de poursuivre: «le for interne, c’est la conviction intime, la foi profonde. Cette liberté est absolue et Inviolable». Par contre, le for externe qui est «la manifestation extérieure des croyances ou des convictions peut se heurter aux autres croyances, générer des conflits, troubler l’ordre public. C’est la raison pour laquelle la liberté de manifester sa conviction n’est pas absolue».
En 2007, vous publiiez Le puzzle de l’intégration. Comment la situation a-t-elle évolué sur cette question depuis?
Il suffit de le relire pour voir que j’y avais anticipé tout ce qui se produit maintenant. Début 2011, j’avais également publié un programme politique détaillé sur les sujets de l’intégration et de l’école. À chaque fois, mon souhait était que le politique joue son rôle de garant de la paix tant que la situation était encore contrôlable. La plupart des responsables rencontrés, ceux qui détenaient des leviers d’action, sont restés plus ou moins sourds et indifférents au sort de la société française. J’ai souvent eu le sentiment de «prêcher dans le désert».
La victoire de l’Algérie, aussi bien contre la Corée du Sud que contre la Russie, a été célébrée dans toute la France par les supporters algériens. Certaines manifestations de joie et les violences qu’elles ont parfois entraînées ont pu choquer certains Français. Qu’est-ce que cela vous inspire? Est-ce selon vous le reflet d’un certain malaise identitaire?
Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans cette situation de malaise identitaire. N’importe quelle enquête met en évidence que nombre d’entre eux ne se revendiquent pas de l’identité culturelle française. Ils l’expriment d’ailleurs avec franchise et grande honnêteté. Le malaise identitaire était le passage obligé de tous ceux qui s’engageaient dans le processus d’intégration culturelle car la construction de sa propre identité, surtout lorsqu’elle diffère fortement de celle de ses ascendants biologiques, est un processus jalonné de questionnements profonds mais aussi de souffrances morales inévitables. Nous ne sommes plus dans cette époque où existait une volonté d’intégration culturelle.
Le fait que les Algériens fêtent la victoire de leur pays est légitime. La seule chose qui puisse être reprochée c’est que certains parmi eux saisissent toute occasion, défaite ou victoire, pour attenter à l’ordre public et même procéder à des opérations de destruction. C’est le mépris de la France et de tout ce qu’elle représente culturellement à leur yeux qui s’exprime ici. Mais là encore, il convient de hiérarchiser les responsabilités. Ce sont nos élites qui ont créé les conditions d’une telle expression. Je renvoie de nouveau vers mes ouvrages, où j’avais longuement décrypté le pourquoi du comment.
Vous critiquez le concept de diversité. Celui-ci mène-t-il finalement à l’effacement de l’«identité française»?
Baby Loup en est l’exemple flagrant. Parce que la crèche a souhaité appliquer la laïcité, la vie lui a été rendue impossible et elle a dû partir, déménager, quitter le territoire de Chanteloup-les-Vignes. Le concept de diversité a été propagé par les élites politiques, intellectuelles, médiatiques pour désigner ceux qui n’étaient culturellement pas Français mais auxquels l’État attribuait pourtant, en toute connaissance de cause, des papiers d’identité français. En seulement quelques années, dans les échanges à huis clos au sein du monde de la haute administration et de la politique, nous sommes passés d’un «il n’y a pas de problème d’intégration. C’était exactement la même chose avec les Italiens» à un «c’est fini. Il est trop tard!» C’est la raison pour laquelle ils ont abandonné la République, et chemin faisant la France. Tous les discours lénifiants qu’ils continuent de servir aux Français, ils n’y croient pas eux-mêmes. J’ai été aux premières loges pour le voir et l’entendre.
Comme l’explique Michèle Tribalat dans son dernier livre, les politiques ont abandonné depuis une trentaine d’années le principe d’assimilation au profit d’une logique multiculturelle. N’est-il pas trop tard pour faire marche arrière?
C’est ce que pensent beaucoup de nos politiques. Je continue quant à moi de penser que pour celui qui aime son pays, il n’est jamais trop tard pour participer à faire recouvrer à son peuple la maîtrise de son destin, c’est-à-dire la maîtrise de son projet de société. Dans mes différents ouvrages, j’ai longuement développé les raisons pour lesquelles j’étais opposée au fait d’imposer l’assimilation. Le choix de sa propre identité doit en effet être libre et non contraint. La liberté d’être est, à mes yeux, la plus importante qui soit. Par contre, il est évident que nul ne peut être exonéré du respect, sur un territoire donné, des normes collectives qui correspondent à l’héritage politique et culturel du peuple auquel ce territoire appartient.
En revanche, j’ai toujours précisé que l’octroi des papiers d’identité français devait obligatoirement correspondre à la réussite du processus d’intégration culturelle qui se matérialise par l’assimilation. Ce n’est là que respecter le contenu du code civil relatif à cette question. C’était le sens de la Charte des droits et des devoirs du citoyen français que nous avions élaborée au sein du HCI, et qui avait commencé à être mise en œuvre par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant. C’est autour de la question du respect de leur identité, et de tout ce que cela commande, qu’il faut chercher la source principale du divorce entre les élites et le peuple. Il est manifeste qu’au long de ces dernières décennies, les gouvernements qui se sont succédé ont pour beaucoup violé les termes du contrat de délégation de pouvoir confié par le peuple. Le fait que le pouvoir politique persiste à laisser entrer des flux migratoires et à distribuer des papiers d’identité qui sont autant de titres de propriété sur la terre est extrêmemnt grave. De même en est-il du droit du sol devenu totalement obsolète. Obsolescence que les gouvernants ont pourtant refusé de prendre en considération. À qui peut-on encore faire croire que naître sur une terre suffit à faire de vous un porteur de l’identité de cette terre?
Vous êtes vous-même d’origine étrangère. Qu’est-ce qui vous pousse à mener ce combat sur l’intégration depuis tant d’années?
Mon engagement est celui d’un combat pour la justice. Voir la France et le peuple français tant humiliés, violentés, y compris par leurs élites, m’était devenu insupportable. Rester assis et ne rien faire, c’est se rendre complice. Les citoyens doivent en prendre pleinement conscience car, tôt ou tard, notre époque, comme d’autres avant elle, sera passée au crible par des historiens. Au vu des moyens d’information fabuleux dont nous disposons, nous ne bénéficierons d’aucune circonstance atténuante telle que celle de l’ignorance des faits qui avait pu tantôt prévaloir.