C’est la une du Point de cette semaine, destinée à rassurer la France des tables basses qui n’en finit pas de voir jaune et de sentir la lacrymo : « Jean-Michel Blanquer : le nouveau cerveau de Macron. » Et un sous-titre prometteur, destinée à dérouler l’espoir que non, tout n’est pas cuit et recuit en Macronie : « Son programme pour relancer le quinquennat. » Rien que ça… un clin d’œil appuyé. Certainement très apprécié d’Édouard Philippe, qui doit songer à sa commande de cartons. Et cette une ne serait pas parfaite si, perché tout en haut, à gauche, ne trônait pas, en ange tutélaire dudit quinquennat : « Brigitte Macron : Le livre qui raconte sa vie d’avant – Son prochain job ». Le message est superliminal !
Il est vrai que si vous aviez vu en une Christophe Castaner, Nathalie Loiseau ou Marlène Schiappa avec cette accroche : « le nouveau cerveau de Macron », Le Point aurait rivalisé avec Le Gorafi. Donc, reconnaissons-le, Emmanuel Macron n’a pas mal choisi son nouveau cerveau, il a pris ce qu’il y avait de mieux en magasin, la cote de popularité la moins abîmée tout au moins.
Entrons donc dans ce qui vous attend, avec ce pilotage de la France depuis le cerveau de M. Blanquer. Vous attend ? Car nous, enseignants et parents d’élèves, savons déjà comment fonctionne ce cerveau.
Au début, c’est une heureuse surprise : après les délires des précédents ministres – Peillon, Hamon, Vallaud-Belkacem -, on aurait pris à l’Éducation nationale n’importe quel cerveau. Donc Blanquer. Et on prend de façon plus convaincue quand ledit ministre parle assouplissement de la réforme du collège, plaide pour le latin et le grec, une forme de retour aux fondamentaux à l’école primaire et fait une sortie des classes en distribuant un recueil des Fables de La Fontaine. Là, c’était la pâmoison générale.
Mais voilà, en ce mois d’avril 2019, ça déchante dur dans les salles des profs, chez les familles et au-delà. La réforme du collège est toujours là, enkystée, avec ses EPI, ses « marges établissement », son idéologie des compétences. Les langues anciennes n’ont guère été relancées. Et voilà même que le gentil ministre s’est lancé dans deux réformes très contestables – et contestées :
– sa loi sur l’École de la confiance dont plusieurs points importants posent de gros problèmes : devoir de réserve des enseignants, rapprochements écoles-collèges notamment ;
– une réforme du lycée et du bac hâtive et aux multiples conséquences redoutables qui commence seulement à avoir ses premiers effets : disparition regrettable des bacs L et ES, difficulté de choix des « spécialités » en fonction des projets des élèves, programmes ambitieux – mais inadaptés au niveau des élèves -, mise en place d’un contrôle continu lourd, inégalités accrues entre établissements, inquiétudes dans les classes préparatoires pour le recrutement.
En fait, la politique de Jean-Michel Blanquer ministre est celle que Jean-Michel Blanquer a impulsée lorsqu’il était aux côtés (dès 2006) des ministres Robien, puis Darcos et enfin Chatel, sous lequel il occupe le poste-clef de directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO). Le bilan objectif, c’est que Jean-Michel Blanquer, loin d’avoir pris le contre-pied de ses prédécesseurs, poursuit, parfois plus habilement, mais plus brutalement aussi, le grand sabordage de l’Éducation nationale. Ce n’est pas parce que la gauche a eu un bilan catastrophique en matière d’éducation que l’on peut se contenter d’une gentille com’ destinée à poursuivre la même œuvre.
C’est ce que notait Jean-Rémi Girard, président du SNALC, dans La Quinzaine universitaired’avril dans un texte intitulé « Non à l’École du socle ». Ce socle qui fait consensus depuis quinze ans chez tous les ministres mais qui n’a guère apporté les améliorations que l’on nous faisait miroiter.
Alors, le nouveau cerveau de Macron, qui est en fait le vieux cerveau qui pilote l’Éducation nationale depuis quinze ans, vous en voulez, pour la France ?
Frédéric Sirent – Boulevard Voltaire