En 1928, avec l’appui de Joseph Kessel et de Georges Suarez, Horace de Carbuccia crée Gringoire. Un hebdomadaire qui, entre les deux guerres, aura le plus fort tirage de presse en France (jusqu’à 975 000 exemplaires !).
Sous un titre simple et évident, Gringoire – 1928-1944, Georges Dupont, qui s’est attelé à un vrai travail de bénédictin, nous livre un panorama complet du journal, avec ses éditorialistes, ses chroniqueurs, ses dessinateurs, les romans, articles, récits et nouvelles publiés, les reportages identifiés et répertoriés.
Pour donner une (petite) idée de ce formidable rendez-vous de talents que fut Gringoire, quelques noms (on trouvera tous les autres dans l’ouvrage). Editorialistes : Henri Béraud, Roland Dorgelès, André Tardieu, etc. Chroniqueurs : Francis de Croisset, Geo London, Henry Torrès, etc. Ecrivains ayant publié dans Gringoire : Pierre Benoit, Francis Carco, Georges Simenon, Paul Morand, Colette, Jean de La Varende, Joseph Peyré, etc. Reporters : Xavier de Hauteclocque, Maurice Dekobra, Edouard Helsey, Louis-Charles Royer, etc. Dessinateurs : Bib, Roger Roy, Gus Bofa, Francisque Poulbot, Albert Dubout, Jean Bellus, Paul Iribe, Fronval, Jean Oberlé, Roland Moisan, Raphaël Soupault, etc. A souligner que nombre de ces dessinateurs continuèrent de faire carrière dans la presse après l’Occupation (dont Moisan au Canard enchaîné…).
Georges Dupont écrit : « Gringoire est né de la volonté farouche et déterminée de cet homme passionné et passionnant [Horace de Carbuccia], véritable figure emblématique d’une période contrastée, tumultueuse, celle de l’entre-deux-guerres. Indissociable de son hebdomadaire, Horace de Carbuccia était un patron de presse atypique, amoureux tout à la fois de littérature, d’art et de politique. »
Issu d’une famille corse ancienne et estimée, Horace de Carbuccia, héros de la Grande Guerre (il fut blessé au combat), faillit appeler son journal La Grenade. Trop guerrier, lui dira-t-on. Alors, explique-t-il dans son livre de souvenirs, Le Massacre de la victoire (réédité en 2015 par les Editions de Paris), il va ouvrir un Larousse et choisir au hasard, sur la page de droite (bien sûr…), un nom. Et ce sera « Gringoire », du nom de la comédie en un acte de Théodore de Banville. Dès le premier numéro, il y a du beau monde : Colette, Sacha Guitry, Henry Bordeaux, Henri Béraud, Abel Bonnard, Marcel Prévost, Marcel Brion, etc.
Gringoire, lu dans tous les milieux sociologiques, sera l’hebdo de référence, bien devant Candide, L’Illustration, LeCanard enchaîné, Je suis partout, Vendredi (né avec le Front populaire et mort avec lui). On y traite de tout : politique, théâtre, cinéma, music-hall, vie parisienne, musique, danse, TSF, justice (avec l’omniprésent Geo London), disques, mode, courses, arts, salles des ventes, santé, gastronomie, courrier du cœur… Le nom de Carbuccia n’apparaîtra que trois fois en une du journal : le 5 décembre 1942 pour évoquer, sous le titre « L’Assassinat », la mort de son beau-frère, Jean Chiappe (son avion avait été abattu par la RAF le 27 novembre 1940 dans le ciel syrien) ; le 7 novembre 1941 (« Adieu à mon ami anglais ») ; le 16 septembre 1943 (« Corse, terre de fidélité »).
A noter, maintenant que Présent décerne son prix des lecteurs et amis de Présent, que Carbuccia avait créé en 1929 le prix littéraire de Gringoire attribué au meilleur recueil de contes et de nouvelles paru entre le 1er novembre de l’année précédente et le 31 octobre de l’année en cours. Il y ajouta, en 1932, un prix Gringoire récompensant le meilleur reportage publié dans l’année. Avec un jury prestigieux : Princesse Louis Murat, Louis Barthou, Pierre Benoit, Henri-Robert, Abel Hermant, Marcel Prévost, Henri de Régnier, Roland Dorgelès, Henri Béraud, Elie J. Bois, Francis Carco, Paul Chack, Francis de Croisset, Maurice Dekobra, Kessel, G. de La Rochefoucauld, Maurice Larrouy, Paul Morand, Paul Reboux, Henry Torrès, Raymond Recouly.
Alain Sanders – Présent