« Aujourd’hui les jeunes consomment de l’information en permanence. On doit donc leur apprendre où chercher une information objective. »
Dans son édition sur Internet du 21 mars 2016, le Figaro annonçait en des termes très élogieux – cela ne surprendra que ceux qui croient que ce quotidien a encore une ligne éditoriale autonome au milieu de la bien-pensance générale – la 27e édition (rien moins !) de la « semaine de la presse à l’école », organisée par le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) :
« Jusqu’au 26 mars, c’est plus de trois millions d’élèves scolarisés partout en France qui vont s’intéresser aux médias » (15.800 établissements et 221.000 enseignants inscrits). Il s’agit, nous dit-on, de sensibilisation des élèves aux médias et à la liberté d’expression.
Sensibiliser les élèves aux médias, soit mais encore ?
« Le thème de cette semaine, poursuit Le Figaro, s’articule autour de la liberté d’expression. Une thématique qui s’est imposée suite aux attentats de 2015, avec une volonté, cette année, de s’intéresser de plus près à la publication des médias ». […] Le thème de cette édition doit permettre aux plus jeunes de saisir l’importance d’une information libre et d’une presse pluraliste. Nous voulons éduquer ces jeunes et les pousser à adopter les bonnes pratiques, explique Jean-Marc Merriaux, directeur général du réseau Canopé-Clemi. Aujourd’hui les jeunes consomment de l’information en permanence. On doit donc leur apprendre où chercher une information objective».
Les familiers de la novlangue auront compris que par « information objective », il faut entendre « désinformation organisée », et que la presse « pluraliste » vers laquelle les élèves sont invités à se tourner est bien évidemment celle des médias officiels publics ou sous contrôle des entreprises multinationales, et donc « a-nationales ». Et tout aussi évidemment, la liberté d’expression dont il est question concerne exclusivement la pensée libérale-libertaire de super-classe mondiale, relayée par la classe médiatique.
D’ailleurs, pour ceux qui n’auraient pas reçu le message suffisamment fort et clair, le rédacteur, sous un sous-titre évocateur, « Lutter contre les thèses complotistes », enfonce le clou :
« Axer les débats autour de la liberté d’expression, c’est aussi un moyen de lutter contre un problème d’un genre nouveau, qui s’est développé depuis les attentats. Parmi les plus jeunes, beaucoup n’ont de cesse de répéter qu’ils ne croient pas ce qu’ils lisent dans les journaux ou voient à la télévision. Pour contrer les nombreuses théories conspirationnistes qui se répandent régulièrement dans les cours d’école, les coordinateurs de la semaine de la presse à l’école ont décidé d’insister sur les méthodes de travail du journaliste. L’éthique des médias et la déontologie du journaliste seront donc au cœur de cette semaine. “Décrypter le processus de réalisation d’un article est indispensable pour les élèves”, détaille Jean-Marc Merriaux. “En leur décortiquant les techniques employées par les journalistes, ils peuvent comprendre la différence entre objectivité et subjectivité” ».
On apprendra à cet égard que des organisations aussi « objectives » que Amnesty International ou Reporters sans frontières, appuient activement la semaine de la presse à l’école, au motif que les médias sont à la pointe du combat pour les droits de l’homme et la liberté d’expression, et qu’il faut faire litière des idées reçues sur le travail et la déontologie des journalistes. On se demande si le rédacteur du Figaro est naïf ou cynique…
Il y a tout de même des bonnes nouvelles dans cette affaire :
La première est que les attentats du 22 mars à Bruxelles sont venus, s’il en était besoin, infliger en pleine semaine de la presse à l’école un démenti supplémentaire à la pertinence du discours médiatique sur le « padamalgam » : à chaque nouveau massacre à la bombe ou à la Kalachnikov, à chaque nouvel égorgement, à chaque nouvelle annonce de viols ou d’offenses faits aux femmes, l’idéologie bisounours sur les bienfaits de l’immigration et sur « l’islam religion de tolérance» se révèle de moins en moins tenable.
La seconde est que cette mobilisation générale de la classe médiatique en direction des « élèves » sonne comme un sauve-qui-peut. Une journaliste interrogée par le Figaro note : « Il y a une profonde crise de confiance de la part de la jeunesse ». On est tenté d’ajouter : et pas que de la part de la jeunesse…
La montée en puissance de la « Génération 2013 », et plus généralement de tous les organes de la « réinfosphère », est désormais un mouvement irrésistible. Face au mur de la réalité, les bulldozers que les médias officiels lancent pour protéger leur espace de domination, au nom d’une conception de la liberté d’expression qui ne trompe plus grand monde, se briseront tôt ou tard.
En guise de conclusion, est-il permis de suggérer que la « semaine de la presse à l’école » soit présélectionnée pour l’attribution d’un Bobard d’Or 2017 – catégorie « Bobard institutionnel » ? En effet, cette manifestation offre un bel exemple à la fois de discours mensonger sur le fond et sur la forme, de collusion entre les pouvoirs publics (Mme Vallaud-Belkacem, encore elle…) et la coterie médiatique. Cette entreprise d’embrigadement des jeunes au service de la pensée dominante mérite à coup sûr d’être dénoncée.
Bernard Mazin – Polémia