Dans notre société qui fait avec raison la chasse à l’obésité et à ses maux, on croise de plus en plus de gamines aux jambes dramatiquement maigres sous des cuisses creuses. Moulées par des « slims » où saillent leurs genoux devenus grotesques, elles croisent sur les trottoirs leurs rivales XXXL, moulées elles aussi dans des « leggings » qui laissent deviner chaque nodule de leur cellulite hypertrophiée. Entre celles-ci, zombies évoquant les malheureux au retour des camps, et celles-là, au fessier gigantesque calqué sur la Vénus hottentote, on cherche parfois en vain un corps adolescent qui respire la santé. Et les défis débiles lancés sur les réseaux sociaux à travers la planète ne sont pas près d’arranger le problème…
Comme les fringues évoquées ci-dessus, le dernier nous arrive de Chine. Là-bas, il faut être filiforme, avoir la peau la plus blanche possible (les riches Chinoises se baignent en combinaison intégrale pour ne pas risquer de bronzer), deux critères essentiels pour décrocher un mari bien riche et bien gras (qui se fera, à l’occasion, promener en palanquin pour afficher ces deux signes évidents de prospérité masculine).
Nouveau défi, donc. Il s’agit, cette fois, de pouvoir dissimuler sa taille derrière une feuille de papier de format A4, à la verticale, bien sûr, soit 21 cm. C’est le nouveau critère de beauté, et gare à celles qui ont le squelette un peu épais : elles risquent de finir dans l’enfer des réseaux.
Les médecins, déjà confrontés à l’épidémie d’anorexie qui fauche les adolescentes (70.000 soignées en France), sont affolés. Une nutritionniste explique ainsi au Parisien que « ce énième défi “toujours sur le même registre de la minceur” est “un marqueur supplémentaire, particulièrement à l’œuvre dans les milieux plutôt favorisés et éduqués, d’une société où le diktat de la norme s’impose. Cela fonctionne sur le même mécanisme que l’anorexie mentale : contrôler à l’extrême un corps à qui l’on refuse de devenir soi-même, et femme. Avec un seul but : contrôler son image”. »
Dans ce monde où « les adolescents passent leur temps à se photographier le nombril à tout propos », on n’existe plus en effet que par l’image. Cela avec la complicité imbécile et fréquente des parents, victimes eux aussi de la pression normative véhiculée par les médias, souvent au travers de vedettes qui n’offrent d’autre voie au dépassement de soi que le paraître. La précédente folie, rappelle ainsi le journal, était voilà trois ans le « thigh gap », pour « écart entre les cuisses ». Le but : avoir le plus grand espace possible entre le haut des jambes. Plus grave encore : au printemps 2015, des mannequins lançaient la mode de la grossesse XXS, et donc celle de la « mummyrexie » (contraction de mummy et anorexie). Et l’enfant à naître, dans tout cela ? Aucune importance. Il n’est là que pour l’image, lui aussi, car la grossesse est un passage obligé dans une carrière, un truc qu’il faut avoir fait, un marqueur comme le dernier « it bag ».
Bien au-delà des questions de santé publique – l’anorexie est mortelle -, tout cela est éminemment dangereux. En effet, si nos sociétés « évoluées » n’ont à offrir aux nouvelles générations que ces défis de la futilité et de l’apparence, alors il ne faudra pas s’étonner que les jeunes qui s’en sentent exclus s’engouffrent de plus en plus nombreux derrière les illuminés qui leur proposeront n’importe quelle forme dévoyée d’engagement ou ersatz de spiritualité.