Réunie une première fois le 15 juin 2015, l’instance de dialogue entre les Français de confession musulmane et les pouvoirs publics a de nouveau été réunie le 21 mars 2016. Cette réunion s’inscrit dans le prolongement des consultations locales organisées par les préfectures, qui ont permis d’entendre des milliers de Français de confession musulmane.
Si pour la première édition des tables rondes sur divers sujets plébiscités par les participants avaient été organisées, cette 2e instance a été centrée sur le phénomène de radicalisation.
Dans son discours de clôture, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a salué la « volonté d’engagement qui anime sincèrement les musulmans de France » et a assuré ces derniers du soutien de la République.
Lors de cette réunion, Bernard Cazeneuve a pris la pose pour un « selfie » avec Amar Lasfar, président de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) et Abdelkader Saldouni, l’imam de Nice, accusé d’entretenir des liens étroits avec les Frères Musulmans.
Discours de M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur, lors de la clôture de l’instance de dialogue avec l’Islam de France.
Monsieur le Président du CFCM,
Messieurs les recteurs,
Messieurs les imams,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux, à divers titres, de vous retrouver dans les locaux du ministère de l’Intérieur à l’issue des travaux de cette deuxième Instance de dialogue avec l’islam de France.
D’abord parce que je retrouve dans cette assemblée bien des visages amis. Ceux des responsables nationaux des musulmans de France, actifs au sein du CFCM et des diverses fédérations, que je tiens à rencontrer régulièrement en raison de leur expérience et de la parole dont ils sont porteurs en votre nom. Nous évoquons ensemble des sujets concernant directement l’exercice du culte musulman, bien entendu, mais aussi ceux qui intéressent tous les Français qui, comme vous, sont soucieux du destin de notre pays. Et chacun de ces échanges est pour moi une source d’enrichissement.
Et puis, je vois aussi certains d’entre vous dont j’ai fait la connaissance en me rendant à la rencontre des musulmans de France dans les mosquées, à l’occasion de mes déplacements en province. Parfois dans des circonstances marquées par l’inquiétude, lorsque je me rends à Auch après l’incendie criminel qui a visé sa mosquée. Parfois dans un climat d’optimisme, de sérénité et d’ouverture à l’autre, lorsque je participe au « thé de la fraternité », cette belle initiative du CFCM, à Saint-Ouen l’Aumône, puis à la Grande Mosquée de Paris avec le Président de la République.
Toutes ces rencontres sont pour moi des moments précieux, des moments d’échange et de partage. Des moments marqués par la ferveur républicaine, parce que les musulmans que je rencontre à ces occasions me disent leur amour de la République et leur volonté de la défendre contre ses ennemis, qui sont aussi les leurs. Aux musulmans de France, je veux dire en retour que la République a vocation à les prendre dans ses bras, à leur donner la place qui est la leur en son sein. Je veux leur dire que la République les protègera toujours contre ceux qui voudraient les atteindre et qu’elle leur garantira toujours le droit constitutionnel d’exercer leur culte dans des conditions dignes et paisibles. Car ces droits sont ceux précisément que la République doit garantir à tous les citoyens, par-delà leurs confessions et leurs convictions. C’est là aussi que se situent mon engagement et mon devoir à l’égard de chaque citoyen, dans ma responsabilité de ministre de l’Intérieur.
Je suis donc heureux de vous retrouver tous aujourd’hui dans cet état d’esprit de concorde, de respect et de paix. Et je suis heureux de constater que cette « Instance de dialogue », dont j’ai conçu le projet avec vous l’an dernier, répond à ses objectifs et est déjà consacrée comme lieu d’échange et de proposition, dont chacun reconnaît l’utilité.
L’an dernier, je m’en souviens, cette initiative avait suscité des interrogations. N’allait-on pas fragiliser le CFCM, cette instance élue de l’islam de France, en proposant une méthode de dialogue élargi ? L’Etat ne sortait-il pas de son rôle en choisissant, en quelque sorte, ses interlocuteurs musulmans ? Et ne risquions-nous pas de nous contenter de célébrer une réunion artificielle et sans lendemain ? Or, en réalité, l’expérience de juin 2015 a montré, me semble-t-il, que le CFCM pouvait trouver une place centrale et dynamique dans cet exercice. Je veux remercier à cet égard ses présidents successifs, Dalil BOUBAKEUR et Anouar KBIBECH, et bien sûr également Mohammed MOUSSAOUI, qui ont pleinement joué leur rôle et se sont emparés de cette initiative pour faire avancer les sujets qui leur tenaient à cœur et dont les avaient saisis les fidèles. Tout comme je veux remercier les responsables des fédérations et des mosquées qui se sont impliquées dans cet exercice et qui ont toutes apporté leur contribution à la réflexion commune.
Cette initiative a également révélé, grâce aux débats qui ont eu lieu, par deux fois, dans tous les départements de France, l’immense soif de dialogue et la volonté d’engagement qui animent les musulmans de France. Ces aspirations fortes s’expriment de façon riche, exigeante et lucide dès lors que l’on veut bien les solliciter. Vous avez ainsi été aujourd’hui les porte-paroles de tous ceux qui se sont exprimés par milliers, lors de ces débats préparatoires en préfecture sur le thème de la prévention de la radicalisation, et qui se sentent mobilisés par cette cause d’intérêt public.
Enfin, comme cela a été dit ce matin, l’engagement à agir que nous avions pris en juin 2015 n’est pas resté lettre morte. Des groupes de travail ont été mis en place, des décisions ont été prises, des moyens ont été dégagés par l’administration pour répondre aux questions que nous avions identifiées lors de la première réunion de l’Instance de dialogue. Un processus irréversible a été enclenché.
Ainsi, l’objectif consistant à doubler le nombre des formations « civiles et civique » de façon à permettre aux aumôniers et aux imams de les suivre facilement partout sur le territoire a été atteint et même dépassé. Ces formations sont rendues obligatoires pour les aumôniers ainsi que pour les imams étrangers détachés.
Ainsi, l’organisation de l’aïd et la construction et la gestion des lieux de culte, à l’issue de travaux élaborés, feront l’objet de guides utiles aux élus aussi bien qu’aux imams et aux responsables du culte.
Ainsi, la volonté de lutter contre les menaces et les agressions dont les musulmans sont l’objet s’est traduite par un dispositif de protection couvrant plus de 1 000 mosquées et par une mobilisation sans faille de la justice et des services d’enquête. Il me semble essentiel que les auteurs de tels actes insupportables sachent qu’ils seront inlassablement recherchés, arrêtés et punis par la justice de France. Je vois du reste dans la baisse très sensible des actes anti-musulmans observée depuis le début de l’année 2016 (33 actes en janvier-février 2016 contre 196 actes en janvier-février 2015) une conséquence de cette attitude de très grande fermeté.
En l’espace de quelques mois, cette Instance de dialogue s’est donc imposée. Elle a démontré son utilité. Et je suis également heureux de constater qu’elle nous aura permis d’échanger aujourd’hui sur un sujet particulièrement grave, celui de la prévention de la radicalisation, comme je vous l’avais proposé le 29 novembre dernier à l’Institut du monde arabe lors du Rassemblement citoyen des musulmans de France.
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Je sais que le choix de ce thème a suscité certaines interrogations. Les événements de ces derniers mois doivent pourtant nous conduire à regarder ensemble, lucidement, les défis que présente à notre société la radicalisation de jeunes citoyens.
Les attentats de novembre, faisant suite à une longue série de crimes et de tentatives empêchées, ont en effet révélé aux Français l’importance de la menace terroriste à laquelle ils sont confrontés. La part qu’ont prise à ces crimes des jeunes Français et Françaises radicalisées, passés par la Syrie ou directement mobilisés sur notre territoire, ainsi que l’invocation de la religion à l’appui de leurs forfaits, ont profondément horrifié les Français de confession musulmane, comme tous les Français. Lors de votre rassemblement citoyen du 29 novembre, vous avez exprimé avec force ce sentiment et votre volonté de combattre ce fléau. De son côté, l’Etat doit prendre toutes les dispositions pour prévenir la radicalisation violente de celles et ceux qui pourraient rejoindre les groupes terroristes et commettre des attentats sur notre sol.
Au cours des dix dernières années, la menace terroriste s’est considérablement transformée. Si les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières, d’autres attaques ont, elles, été le fait de personnes ayant basculé, sur notre sol, dans le fanatisme et la violence armée, parfois dans un délai très court. Nous savons qu’environ 600 Français ont aujourd’hui rejoint les organisations terroristes actives en Syrie et en Irak. Mais le nombre de nos concitoyens impliqués dans les filières djihadistes, en comptant également ceux qui sont en transit, ceux qui sont revenus et ceux qui ont manifesté la volonté de partir, est sensiblement plus élevé : près de 2 000. Et ce nombre a cru fortement depuis janvier 2014 : le nombre des personnes impliquées est passée depuis lors de 555 à 1 858, tandis que le nombre des combattants sur place passait de 224 à 606.
L’effort de prévention constitue donc une priorité absolue, parce que la sécurité de tous les Français est en jeu. Une fois endoctrinés et entraînés à tuer par DAESH et le Front al-Nosra, les personnes concernées présenteront en effet, pour la plupart d’entre elles, un risque sécuritaire majeur à leur retour en France.
Il s’agit en outre d’épargner à de nombreuses familles la crainte et la souffrance qui les frappent lorsqu’un enfant ou un proche radicalisé décide de partir pour la Syrie. Je vous rappelle qu’à ce jour 168 jeunes Français ont perdu la vie après avoir rejoint les organisations terroristes sur le front irako-syrien.
Une autre nouveauté du phénomène auquel nous faisons face réside dans la grande variété des profils sociologiques et psychologiques des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation. Certains sont des délinquants de droit commun. D’autres sont des jeunes en situation d’échec social et de fragilité psychologique, qu’anime un sentiment de haine à l’égard de la société où ils ont grandi. D’autres encore, apparemment « sans problème », souvent issus des classes moyennes, pensent trouver une réponse à leur malaise identitaire dans une forme d’islam radical et violent. Quelles que soient leurs motivations propres, toutes les personnes concernées sont la proie de prosélytes d’autant plus actifs qu’ils décèlent des fragilités chez celles et ceux qu’ils manipulent.
Pourtant, de cette pluralité des causes, nous ne saurions déduire que la religion ne tient qu’une part marginale dans ce processus. A l’évidence, la dimension religieuse de la radicalisation, si elle n’est pas le seul facteur de ce phénomène, constitue le cadre de mobilisation proposé aux djihadistes à travers une lecture littéraliste dévoyée de la religion, transformée en idéologie totalitaire. Cette dernière prône le combat contre les non-musulmans, mais aussi contre les musulmans eux-mêmes, qualifiés de « faux musulmans » quand ils n’adhérent pas à ce dogmatisme de la haine. C’est à ce titre que DAESH désigne nommément comme des cibles un certain nombre de responsables religieux français de toutes tendances et s’efforce de répondre sur un plan religieux, dans sa revue de propagande en français « Dar al Islam », aux textes par lesquels les responsables religieux de l’islam de France ont nettement condamné leurs projets criminels et dénoncé leur imposture.
Il s’agit donc d’agir avec discernement. Nous ne devons tomber ni dans les amalgames destructeurs, ni dans le déni de réalité. Il est vraisemblable que les jeunes qui projettent de rejoindre DAESH en Syrie ne se radicalisent pas, sauf à de très rares exceptions, dans les mosquées. Lorsque cela se produit, vous pouvez compter sur moi pour prendre, dans le respect rigoureux du droit, toutes les mesures destinées à fermer ces lieux où se prêche la haine.
Mais les mosquées et leurs responsables n’en ont pas moins une responsabilité éminente à l’égard des jeunes qui les fréquentent et qui pourraient se trouver en voie de radicalisation sous l’effet d’autres influences. Il en va de même dans les prisons ou sur Internet : au discours de mort de DAESH, les responsables de l’islam de France doivent être en mesure d’opposer un exemple, une sagesse, une autorité morale et théologique qui permette de dénoncer les mensonges et les impostures au nom de la connaissance, du savoir, au nom de l’islam des Lumières que vous chérissez. C’est à ce titre que nous devons travailler ensemble, réfléchir ensemble, agir ensemble, afin de combattre un fléau qui concerne tous les Français.
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J’en viens donc aux travaux qui se sont déroulés au cours de cette journée et aux perspectives qu’ils nous ouvrent.
Comme cela a été rappelé, le plan gouvernemental du 23 avril 2014 a confié au Secrétariat Général – Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance (SG-CIPD) la mission de concevoir une réponse publique préventive aux phénomènes de radicalisation. J’ai confié aux préfets un rôle pivot en la matière au niveau départemental, et chaque préfecture dispose désormais d’une cellule de suivi et d’accompagnement des personnes radicalisées et de leur famille. Ce sont donc 101 structures de premier niveau qui existent et qui ont permis la prise en charge effective de près de 1 600 personnes. Dans le cadre de ce plan, une enveloppe de 20 millions d’euros a été ouverte au niveau national, et 6 millions servent à financer les associations qui aident les préfectures à intervenir auprès des personnes en situation de radicalisation pour aider à leur insertion sociale dans le respect des règles de la République.
Les méthodes appliquées sont évidemment variables en fonction des situations locales et je crois que nous devons conserver cet élément de pragmatisme. L’implication des responsables religieux est ainsi, comme cela a été relevé, très variable d’un département à l’autre, avec des solutions distinctes par exemple dans le Rhône, en Gironde où a été constitué le Centre d’action et de prévention de la radicalisation des individus (CAPRI), dans les Hauts-de-Seine ou dans les Alpes-Maritimes. Cependant, partout où cela est possible, il me semble souhaitable que les préfectures cherchent à s’appuyer sur des « référents religieux » pour aider à la prise en charge de certains individus radicalisés et de leur famille. Ce faisant, il ne s’agit pas pour l’Etat de dire quel est le «bon islam », mais de permettre à de jeunes esprits imprégnés de la propagande de DAESH d’avoir accès, dans le dialogue avec une personne de confiance, à une compréhension plus large des questions théologiques. Dans le même esprit, je souhaite bien entendu que l’Etat facilite les initiatives prises par les CRCM et les fédérations de mosquées afin de mieux former les responsables du culte musulman à la prévention de la radicalisation et que des représentants des préfectures puissent leur présenter le dispositif public et les outils dont nous disposons.
La prévention de la radicalisation dans les prisons constitue un autre objectif fondamental pour les pouvoirs publics. Nous savons en effet que des imams auto-proclamés tentent d’y enrôler certains détenus, souvent choisis parmi les plus isolés et les plus vulnérables, pour les mettre au service des projets criminels de DAESH et d’autres organisations terroristes.
Les aumôniers pénitentiaires musulmans, de leur côté, ont d’abord pour rôle de permettre l’exercice du culte en détention, comme le prévoit la loi de 1905. Mais, ce faisant, ils peuvent aussi répondre aux questionnements des détenus, démonter les discours de violence et empêcher certains de basculer dans la radicalisation. Pour remplir efficacement ce rôle, les aumôniers doivent toutefois disposer du temps et de la formation nécessaires. C’est pourquoi je me félicite des mesures déjà prises par la Chancellerie pour augmenter le nombre des aumôniers musulmans, ainsi que le taux de leurs indemnités. D’ores et déjà, l’aumônerie pénitentiaire musulmane est devenue celle qui bénéficie des subventions publiques les plus significatives. Nous avons également insisté pour que tous les aumôniers bénéficiant d’indemnités soient à l’avenir astreints à posséder ou à passer un diplôme universitaire de formation civile et civique. Enfin, je sais que la Chancellerie est disposée à accompagner la création d’une association de l’aumônerie pénitentiaire musulmane, dotée d’une Charte et prenant en charge certains aspects de la formation des aumôniers. Je m’en félicite, tant il est vrai que les aumôniers pénitentiaires, dont je salue le dévouement, doivent être accompagnés et guidés dans la prise en charge des risques de radicalisation.
Des pistes ont été évoquées à cet égard lors de l’atelier qui était consacré à ce thème : élaboration d’un contre-discours, réflexion sur un thème commun aux prêches du vendredi, évaluation des ouvrages porteurs d’une idéologie radicale, indentification de bonnes pratiques dans la relation qu’entretiennent les aumôniers et l’administration pénitentiaire. Toutes ces pistes me semblent prometteuses.
Un troisième atelier était consacré à la question des discours, si importante lorsque l’on constate l’efficacité redoutable dont font preuve les organisations terroristes pour mettre au point des outils de propagande destinés à séduire puis à enrôler les jeunes Français. Comme l’a rappelé le chef du Service d’information du Gouvernement, l’Etat ne peut agir pour sa part que sur un registre strictement laïque, en démasquant les impostures et les mensonges de DAESH, en s’efforçant de révéler la réalité de la situation qui prévaut en Syrie et en Irak. Cependant la parole de l’Etat est frappée a priori de suspicion pour celles et ceux qui sont en voie de radicalisation et qui ont cédé aux théories du complot.
D’autres démarches indispensables concernent, il est vrai, l’interdiction des sites et des vecteurs faisant l’apologie du terrorisme, dans le cadre de la loi que j’ai fait voter en 2014 et en coopération avec les opérateurs de l’Internet. Je suis en contact régulier avec eux à ce sujet, en France comme aux Etats-Unis, et je remercie les représentants de Google et de Facebook qui ont bien voulu participer de façon active à cet atelier.
Il reste que, face au discours de DAESH, qui se revendique comme inspiré par la religion, ce sont d’abord les théologiens et les responsables religieux qui ont la légitimité pour opposer un contre-discours sur le plan théologique. Ce travail commence naturellement dans les mosquées, comme l’a rappelé ce matin le président du CFCM et comme l’avaient dit nombre d’entre vous lors des réunions qui se sont tenues dans les préfectures. Je me félicite donc de l’initiative que vous avez annoncé, consistant à créer un « Conseil religieux » de l’islam de France, qui aurait vocation à nourrir la réflexion sur la contextualisation de la pratique religieuse dans notre pays, ainsi qu’à élaborer un contre-discours fondé sur un argumentaire théologique solide, afin d’apporter une réponse aux thèses djihadistes qui prolifèrent sur les réseaux sociaux.
A l’échelon local, les
imams sont les acteurs naturels de cette « politique de la sagesse », et c’est pourquoi toutes les mesures prises en vue de s’assurer de la qualité de leur formation, ainsi que de leur maîtrise de la langue française, me paraissent très importantes, y compris pour la prévention de la radicalisation. L’Etat continuera à soutenir leur formation profane, à travers le développement continu des DU de formation civile et civique sur tout le territoire, complété par la création d’un DU qu’il sera possible de suivre à distance.
Il me semble également très sage de prévoir au sein des mosquées, comme vous l’avez annoncé, des programmes d’accueil et d’éducation destinés aux convertis, de façon à leur donner rapidement les bases d’une culture religieuse leur permettant de faire preuve de discernement à l’égard des discours qui se trouvent sur internet. A l’égard de ces musulmans disposant d’une faible culture religieuse, comme à l’égard des non-musulmans qui s’intéressent à l’islam, les efforts que prévoit de réaliser l’émission « Vivre l’Islam » afin de gagner en accessibilité, notamment à travers son site Internet, méritent également d’être salués. Je sais que la direction de France Télévision a prévu des moyens à cet effet et je veux l’en remercier.
Nombre des initiatives que je viens d’évoquer concernent en particulier les jeunes, qui constituent des cibles naturelles pour les recruteurs de DAESH. Comment mieux les armer contre ces tentatives d’enrôlement et faire d’eux des acteurs de la prévention de la radicalisation ? L’Etat peut bien entendu leur proposer des modèles alternatifs d’engagement au service de la communauté, à travers notamment le service civique, mais aussi dans le cadre du volontariat au sein des sapeurs-pompiers ou des cadets de la République. L’Etat doit également lutter contre le sentiment de relégation et de discrimination dont se sentent victimes nombre des jeunes tentés par des engagements radicaux et violents. Car sa première mission est bien entendu de montrer que les jeunes Français ont tous rigoureusement les mêmes droits, quelles que soient leurs origines, leur convictions ou leur confession.
Quant aux responsables du culte musulman, je relève avec intérêt qu’ils ont la volonté de répondre aux besoins religieux des jeunes en créant des « cellules d’écoute » à leur intention au sein des mosquées et des associations. Je note également votre volonté de proposer un programme partagé entre toutes les mosquées pour l’apprentissage de la langue arabe et de la religion, là où ces enseignements se font aujourd’hui sans lignes directrices particulières.
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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Lors de la première réunion de l’Instance de dialogue, je vous avais dit que je comprenais votre exaspération à devoir sans cesse rappeler que les musulmans de France n’avaient rien à voir avec les attentats perpétrés au nom de DAESH. « Mettre en relation les exactions de quelques individus avec les comportements et les valeurs de 5 millions de musulmans français relève, vous disais-je alors, soit d’une coupable ignorance, soit d’une malhonnêteté inacceptable. »
Ces propos, que je continue à revendiquer, m’ont été parfois reprochés. Du moins peuvent-ils vous convaincre que je suis viscéralement rétif aux raccourcis et aux instrumentalisations par lesquels certains s’efforcent de faire peser sur les Français musulmans la responsabilité de la menace si grave qui pèse sur notre pays.
A l’issue de cette réunion, je souhaite donc vous inviter, aux côtés de l’Etat, mais aussi d’autres acteurs de la société civile – élus, enseignants, responsables associatifs –, à vous engager dans la lutte que nous menons contre la menace terroriste et à prévenir la dérive radicale de certains de jeunes Français.
Je sais que c’est là votre souhait en tant que Français, en tant que citoyens, en tant que musulmans, en tant qu’adeptes d’une conception élevée, ouverte et exigeante de la religion. Cette conception qui faisait écrire autrefois à Abdelwahab MEDDEB : « Au lieu de distinguer le bon islam du mauvais, il vaut mieux que l’islam retrouve le débat et la discussion, qu’il redécouvre la pluralité des opinions, qu’il aménage une place au désaccord et à la différence ; qu’il accepte que le voisin ait la liberté de penser autrement ; que le débat intellectuel retrouve ses droits et qu’il s’adapte aux conditions qu’offre la polyphonie ; que les brèches se multiplient. »
Je sais que c’est dans cet esprit que vous avez participé aux travaux de cette journée. Et c’est pour cette raison que je suis confiant dans notre capacité collective à faire face au péril et à lutter contre ceux qui voudraient nous affaiblir en corrompant notre jeunesse, à faire entendre la voix de la sagesse et de la raison contre les appels à la haine et à l’ignorance.
Je vous remercie.