Par Jean Tulard
Six mille films récents ou classiques tirés de l’histoire du septième art sont réunis et analysés. Le charme de l’ouvrage vient de son parti pris.
L’originalité de cenouveau dictionnaire par rapport à ses prédécesseurs ? C’est l’oeuvre d’un seul auteur qui a vu les six mille films qu’il étudie, et probablement bien plus si l’on compte ceux qu’il cite au détour d’une phrase. Avoir vu six mille films : est-ce possible ? Oui. Critique à Valeurs actuelles où il a succédé à Norbert Multeau, Laurent Dandrieu visionne chaque semaine toutes les oeuvres, ou presque, qui sortent sur les écrans parisiens. Et pour les films anciens, il fait appel à sa mémoire de cinéphile.
Un seul auteur, n’est-ce pas dangereux en un temps où les spécialistes sont à la mode ? Il y a l’amateur de films iraniens, le nostalgique de la série B américaine, l’admirateur des superhéros, sans oublier le maniaque pour lequel le cinéma s’est arrêté à l’avènement du parlant. Peut-on parler aussi bien d’un film récent venu du Chili comme l’Enthousiasme de Ricardo Larrain, qu’une poignée de spectateurs a pu découvrir dans une petite salle du Quartier latin, que de Chantons sous la pluie de Gene Kelly et Stanley Donen, la plus populaire des comédies américaines ? Encore une fois, oui, parce qu’il y a une écriture cinématographique commune aux cinéastes et que la culture de Laurent Dandrieu s’est forgée non seulement dans les salles obscures mais à travers des lectures dont on devine l’étendue.
Le critique cinématographique n’a pas obligatoirement les yeux rivés sur un écran grand ou petit, mais il sait s’évader de l’univers du film à l’inverse du rat de cinémathèque ou du zinzin d’Hollywood.
Cette ouverture au monde fait le charme du livre : Moolaadé du Sénégalais Ousmane Sembene a droit à autant de lignes que Pandora, immortalisée par Ava Gardner. Pour une fois, le cinéma américain ne se taille pas la part du lion.
Bien sûr saute aux yeux un déséquilibre entre films anciens et récents : la proportion des films sortis après 2000 est inhabituellement élevée. Faut-il retenir le japonais Hanezu ou le coréen Duelistaux dépens de “nanars” français comme Volpone ou l’Habit vert que l’on voit et revoit sans se lasser et que l’on aurait aimé trouver dans ce dictionnaire ? Mais l’auteur a raison de préférer à des films très connus l’analyse d’oeuvres vues par une poignée de “fans”. Ce mélange de films géorgiens ou indonésiens et de films tournés dans la France occupée ne peut qu’enchanter.
Le charme de ce dictionnaire tient surtout à ses partis pris. “Dictionnaire passionné” annonce le titre. Et l’ouvrage tient les promesses du titre. La passion anime l’auteur, une passion que connaissent bien les lecteurs de Valeurs actuelles. Toutefois, une passion contenue dans la forme et toujours argumentée. Des étoiles accompagnent les bons films (jusqu’à quatre), un zéro (parfois deux ou trois) les mauvais.
Faut-il ranger parmi ces derniers des films très célèbres et pourtant omis ? On pense à Eisenstein, absent de l’ouvrage. Passion, quand tu nous tiens ! Beaucoup de lecteurs s’en réjouiront probablement. Le Cuirassé Potemkine ne fut-il pas classé récemment comme le plus mauvais film de tous les temps !
D’autres absents le sont peut-être par oubli ou indifférence : Marcel Lherbier, Léon Poirier, Jacques Feyder (la Kermesse héroïque), trop anciens peut-être, comme les films à épisodes de Feuillade.
Visiblement, Laurent Dandrieu n’aime pas l’Empereur des Français : le Napoléon d’Abel Gance est omis, comme celui de Sacha Guitry (mais le Diable boiteux figure), comme le Waterloo de Bondartchouk, Marie Walewska de Clarence Brown ou encore Austerlitz de Gance. Seul Napoléon (et moi), amusante comédie sur l’Empereur à l’île d’Elbe, où Daniel Auteuil est peu vraisemblable dans le rôle, trouve grâce.
Ces exclusions sont légitimes dans un “dictionnaire passionné”. Et que de révélations en revanche. Laurent Dandrieu appelle l’attention sur des films passés inaperçus ou boudés par le public comme Tu seras mon fils de Gilles Legrand ou Je n’ai rien oublié de Bruno Chiche. Pas des chefs-d’oeuvre à trois étoiles, mais des films qui ne méritent pas de tomber dans l’oubli.
Et puis il y a John Ford, le cinéaste le plus représenté et le plus étoilé : trente et un titres. Même la Mascotte du régiment, niaiserie interprétée par Shirley Temple, a droit à deux étoiles.
N’ouvrez ce Dictionnaire qu’à bon escient, pour une recherche précise, et refermez-le aussitôt, sinon vous ne pourrez plus vous en extraire, butinant de film en film, vous enthousiasmant, vous étonnant, vous indignant peut-être. Voilà un livre qui ne vous laissera pas indifférent. La passion est contagieuse.
Dictionnaire passionné du cinéma, de Laurent Dandrieu, Éditions de L’Homme nouveau, 1 408 pages, 34,90 €.