Des femmes voilées à perte de vue, des barbus à foison, des boubous colorés, des kaftans sombres, des gandouras couleur fauve ou sable, des hommes du désert en grande tenue bleue : c’est le spectacle quotidien qu’offre le quartier de Barbès. Avec ses écrivains publics assis en tailleur en pleine rue de la Goutte d’Or, ses rabatteurs embusqués dans des portes cochères ou ses vendeurs de bijoux à la sauvette, on pourrait se croire au fin fond du Maghreb… si la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, plantée en plein cœur du Paris noir et arabe, n’était là pour rappeler au promeneur qu’il n’est pas victime d’une hallucination, ou d’un mirage comme dans le désert.
Il est pourtant bien dans Paris, en plein quartier de L’Assommoir de Zola ! A partir du Moyen Age, des vignes plantées sur ces collines donnaient un petit vin blanc appelé « goutte d’or ». Un vin qui était encore produit au début du XIXe siècle. Après la Révolution, nombreux furent les paysans français à s’installer dans ce faubourg pentu avec ses boutiques sombres, ses maisons lépreuses, ses marchands de vin prolifiques. Zola y dénicha ses personnages de l’Assommoir et on y trouvait le lavoir de Gervaise. A quelques encablures de là, Albert Simonin voyait le jour et devait raconter son enfance dans Les souvenirs d’un enfant de La Chapelle. Bref, que du Parigot et la jactance qui va avec…
Près de 150 ans plus tard, Zola et Simonin ont fait place à l’Afrique avec ses marabouts, ses matrones chargées de négrillons, ses fatmas, ses hammams, ses bazars et ses trafiquants de tout poil.
Les pacotilles de l’Orient
Le métro aérien déverse quotidiennement ces foules bigarrées venues négocier à bon compte des tissus orientaux, mais aussi acheter des livres sacrés sur l’islam vendus dans les nombreuses librairies religieuses du quartier. Lesquelles proposent également maints ouvrages sur la fidélité conjugale, la famille ou la cuisine arabe. Sans oublier, bien sûr, les vêtements traditionnels destinés aux hommes et les différents foulards pour couvrir les cheveux de ces dames. Bref de quoi constituer la panoplie du parfait musulman.
Boulevard Barbès, des rabatteurs du plus beau noir proposent les meilleurs téléphones portables et autres tablettes, vendus pour la plupart dans des boutiques portant l’enseigne Lycamobile – vous savez, la société de téléphonie mobile qui avait recruté pour quelques mois l’apprenti-terroriste du Thalys et dont un des patrons n’est autre qu’un des responsables… du CRIF – ! Votre téléphone mobile est en panne ? Pas de panique. Les échoppes débloquant les téléphones (souvent volés), proposant les modèles les plus performants au prix les plus attractifs, se touchent. Vous n’avez qu’à choisir entre celle tenue par une fratrie tamoul, celle aux mains de ressortissants africains ou celle dirigée par des Nord-Africains. Difficile de faire plus éclectique !
Vous voulez offrir le collier de ses rêves à la mère de vos enfants ou faire plaisir à votre époux ? Les nombreuses bijouteries du quartier vous offrent le choix entre des mains de Fatmas, larges comme… la main, des diadèmes ornés de rubis ou des colliers dignes des trésors de Topkapi. En revanche, pas la moindre croix, fut-elle d’Agadès, de Malte ou de Jérusalem.
Vous voulez des valises ou des malles en fer-blanc pour votre petit business avec « le pays » ? C’est à qui vous vendra la plus grande. Des couvertures décorées de créatures de rêve ou de lions à la crinière époustouflante attendent de trouver preneur. Dans les bazars, s’entasse une vaisselle clinquante faite de verres en faux cristal, d’assiettes trop richement décorées ou de « ménagères » argentées et dorées ! Les amateurs de jolis meubles en seront pour leurs frais ou devront se contenter de consoles, elles aussi dorées ou de fauteuils clinquants dans le goût oriental.
Au pays des tchadors
Entre Barbès et La Chapelle, le monde arabo-musulman est dans ses meubles. Entre les mélopées de musique raï et la lecture du coran qui s’échappent de certaines boutiques, vous avez le choix. Les jours de marché, des dizaines d’hommes brandissent de grands sacs de jute et réclament dans leur langue de l’argent pour contribuer à l’édification de telle ou telle mosquée.
La foule est dense, les tchadors le disputent aux hidjabs et l’on peut croiser des femmes très jeunes enroulées des pieds à la tête dans un carcan vert foncé et ne laissant voir qu’une paire d’yeux, qui peuvent d’ailleurs être masqués par des lunettes de soleil. Ajoutez à cela une paire de longs gants noirs… Côté masculin, la gandoura triomphe ou plutôt la longue robe blanche, le kamis, quelquefois remplacée par un survêtement flambant neuf. Les barbes se multiplient et question couvre-chefs, on voit de plus en plus de fez, supprimés en leur temps par Mustapha Kemal ou, plus près de nous, par un certain Bourguiba.
Les vendeurs du marché racolent le passant en criant comme des forcenés. Des monceaux de fruits et légumes sont proposés, sans oublier des tonnes de menthe fraîche ou de coriandre. Côté viande, pas la moindre trace de « halouf » : le dernier charcutier a quitté le marché voilà deux ans. Il ne faisait plus recette et devait subir des insultes. Depuis quelque temps, des étals proposent pâtisseries orientales, plats préparés et autres beignets arabes frits sur place dans d’énormes friteuses. N’oublions pas les vendeurs à la sauvette et tout ce que Paris compte de Roms, de Kossovars, de Tchétchènes et autres mahométans vendant ce que les associations humanitaires leur prodiguent, ce qu’ils trouvent dans les poubelles ou au « cul du camion ». Ils étalent leur marchandise à même le trottoir et se moquent bien de créer des embouteillages boulevard de La Chapelle et de laisser après leur départ des amas d’immondices et d’emballages vides. Business is business : il faut bien écouler les stocks de produits pharmaceutiques obtenus grâce à la carte magique et fourguer les crèmes de soin de marque proposées à vil prix et obtenues on ne sait comment.
Avant chaque échéance électorale, la police mène certes la chasse. Puis les mauvaises habitudes reprennent même si certains riverains exaspérés sont arrivés à obtenir des rondes policières plus fréquentes. Mais cela n’empêche pas les vendeurs de cigarettes de contrebande de continuer à prospérer en liaison étroite d’ailleurs avec des trafiquants de drogue qui ont un large éventail de narcotiques dans leurs poches. Le vendredi, jour de prière pour les musulmans, certaines boutiques – et c’est tout nouveau – baissent le rideau en début d’après-midi afin de permettre à leurs employés de faire leurs ablutions et d’assister aux prêches. De quoi donner envie de relire notre cher Vialatte…
L’Afrique comme si vous y étiez
Sur le marché Dejean, on plonge dans l’Afrique profonde. Accroupies au beau milieu d’une allée, des Africaines sans âge vendent du poisson séché, différents onguents ou des produits éclaircissants pour la peau. Plusieurs poissonneries proposent barracudas, tilapias, capitaines et autres poissons venus directement des eaux africaines, du fleuve Sénégal ou du lac Tanganyika. Gombos, bananes, plantain, feuilles de manioc ou ignames attendent aussi le chaland qui voit des montagnes de tripes et de pieds de mouton s’entasser derrière les vitrines des boucheries halal. A la sortie du métro Château-Rouge, une femme, le visage scarifié, les pieds passés au henné, un bébé coincé dans le dos, propose des épis de maïs qui cuisent sur des grils de fortune installés dans des caddies de supermarché, volés comme tant d’autres choses dans le quartier. Un peu plus loin, des Africaines mafflues qui ont posé sur des cartons une flopée de faux sacs Vuitton et Chanel interpellent le chaland et se chamaillent entre elles avant d’en venir aux mains. Des ersatz de parfums prestigieux trônent sur des étals de fortune sans oublier de prétendus produits de beauté de marque et des montres rutilantes imitées de Gucci et autres Chanel. Une chose est sûre : la contrefaçon « made in China », au Kossovo ou dans un autre pays des Balkans a de beaux jours devant elle. Un négoce qui aurait d’ailleurs permis aux frères Kouachi de s’acheter les armes utilisées lors de la tuerie de Charlie Hebdo.
Toujours à Château-Rouge, dont les rues rappellent à certains visiteurs le marché de Kinshasa, les boutiques de musique africaine ont pris possession de certaines rues. Des baffles crachent autant de musiques différentes que le continent africain compte d’ethnies. Et tant pis pour ceux qui ont les oreilles sensibles. Ecorces, grigris, beurre de karité, plantes, sont vendus dans des échoppes de pharmacopée traditionnelle. Autant dire que les Gaulois habitant encore le quartier se sentent bien seuls et ont du mal à trouver de quoi se sustenter « à la française » !
Ce n’est pas le cas du tour-opérateur Bastina, créé en 2010, agréé « tourisme solidaire » et spécialisé dans « les randonnées douces et les séjours immersifs » en Afrique, en Europe Centrale et dans les Balkans. En liaison avec le musée de l’Immigration qui dispense des cours d’ethnologie et de communication, il forme des guides originaires d’Afrique qui se font une joie de faire visiter les quartiers immigrés de Paris et de banlieue à tout ce que notre pays compte de ravis. Ainsi, la boucle est bouclée et l’on attend impatiemment une prochaine visite « immersive » à Calais, à moins que le créateur de ce tour-opérateur d’un nouveau genre n’organise un trekking en Macédoine. Un premier contact avant l’arrivée des envahisseurs à Paris.
NB. Le même reportage aurait pu être réalisé dans le quartier marseillais de la Porte d’Aix par exemple, mais il se trouve que le secteur du Sacré-Cœur est l’un des lieux les plus visités de France et que les étrangers qui s’y rendent risquent donc de conserver une drôle d’idée de notre capitale.
Françoise Monestier – Présent