De Changeux à Bourdieu en passant par Derrida…

Par Charles Chaleyat

Comme le dit Bruno Latour* de quelque façon que l’on se représente – sans Dieu – le monde dans lequel nous vivons, on atterrit toujours, plus ou moins clairement, sur deux choix fondamentaux : la Nature et la Culture + le langage (sous toutes ses formes), c’est-à-dire l’outil avec lequel on relie les deux et on parle des deux. Il est tout aussi stupide et dangereux de dire que le monde n’est que nature (tout s’explique par des raisons naturelles souvent exposées depuis quelques siècles en termes scientifiques ; Jean-Pierre Changeux) ou qu’il n’est que culture (tout s’explique en termes de décisions et choix par les hommes, les sociétés ; Pierre Bourdieu) ou encore qu’il n’existe que par le langage (Jacques Derrida).

Pourtant nombre d’explications l’ont fait et le font disant que tout n’est que matière, tout n’est qu’idées ou tout n’est que mots. En réalité, tout est fait par nous, placés dans le monde que nous essayons de comprendre, maîtriser et utiliser (plus ou moins bien) sans que pour autant ce monde n’existe pas par lui-même. Nature et Culture sont des concepts que nous avons inventés pour classer ce que nous analysons et maîtrisons de plus en plus finement, car en fait tout est nature-culture. Quelques essais nous montrent que nous baignons dans une réalité qui peut parfois se manifester brutalement : un platane au bord de la route, la grêle, une maladie parasitaire ou la faim, tous événements analysables et dicibles en termes de savoir scientifique ou ordinaire. Il serait dangereux sinon léthal d’ignorer ces réalités dans nos divers comportements. Le sens commun taxe d’ailleurs de ‘fadas’ ceux qui foncent sur le platane, ignorent les grêlons, ne se soignent pas ou font grève de la faim… On dit bien souvent proverbialement que lorsqu’on l’ignore, la Nature se venge implacablement et que pour la comprendre et la maîtriser, il faut d’abord lui obéir…

La théorie du genre – que Papeillon et Torquenajat n’ont jamais rencontrée – est l’exemple de ce genre d’explication d’un phénomène (le sexe) par la culture et uniquement par elle. Pour ses partisans, cela ne signifie rien de naître garçon ou fille, d’avoir un pénis ou un vagin, plus  tout ce que de nombreuses observations ont noté de différent entre eux (et aussi de partagé) ; tout cela est construit et imposé par la culture de la société où l’on vit. En conséquence de quoi, il suffit de changer la culture, d’enseigner qu’il n’y a aucune différence pour obtenir des êtres sans sexe défini. A eux de choisir plus tard… Il n’est pas difficile de constater que cette théorie n’est qu’une théorie (construction intellectuelle) sans fondement puisque non vérifiée ou expérimentée dans la réalité (comme il se doit habituellement) et même contredite, et que, par conséquent, elle échouera, non sans avoir entrainé malheurs et misères en masse – comme ce fut le cas lors des essais de création de l’homo sovieticus – ce qui a toujours bien sûr été indifférent aux idéologues.

*Nous n’avons jamais été modernes. La Découverte, Paris.

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