Le dérèglement moral de l’Occident: titre austère pour livre drôle!

« En Occident, le monde présent est celui des apparences. En droit, l’individu est roi, en fait, il est dépossédé de son autonomie ». Jouissance et liberté sont portées au pinacle, mais conformisme et servilité dominent. C’est pour dévoiler les contradictions de la « modernité tardive », la nôtre, que Philippe Bénéton, philosophe et professeur émérite à la faculté de droit et science politique de Rennes, publie un ouvrage charmant, intitulé sobrement Le Dérèglement moral de l’Occident.

Certains diront que cet ouvrage manque d’originalité, qu’il brasse des idées déjà maintes fois rebattues. L’auteur lui-même a imaginé la critique que l’on pourrait lui faire : « Le thème de cet ouvrage est des plus rebattus. La critique du prêt-à-penser est devenue une idée à la mode ». Ses critiques concernant les droits de l’homme, l’emprise de l’économie sur la société et sa domination des rapports humains ou encore sur l’individualisme n’apportent de fait rien de nouveau. Sauf peut-être un vent de fraîcheur, d’ironie et de bon goût devenu trop rares.

Une ironie décapante

L’originalité de l’ouvrage de Philippe Bénéton réside dans la finesse de son écriture et dans l’ironie qui s’exprime au travers d’une écriture ciselée. Regorgeant de pépites dont la lecture est délicieuse, l’ouvrage de l’universitaire donne à voir quelques exemples simples – parfois triviaux – de ce que l’on peut appeler dérèglement moral. Ainsi, l’auteur évoque les deux catégories de professeurs d’université, ceux qui portent une cravate et ceux qui n’en portent pas. Les premiers croient encore et toujours à leur mission éducative qui déborde le seul cadre du cours et de la transmission d’un savoir froid. À ce titre, ils se doivent de montrer l’exemple à leurs élèves, et la tenue en fait partie. Les autres, non-cravatés, estiment que leur rôle est uniquement de servir de médiateur de connaissances. Dans un style acerbe mais d’une grande justesse, il évoque l’école moderne qui invite les élèves à débattre sans leur en donner les armes. Le résultat est simple ; les élèves qui rentrent à l’université « ont deux caractéristiques : ils ne savent pas, ils ne savent pas qu’ils ne savent pas ».

La critique de la « rationalisation irrationnelle » du monde moderne que fait Bénéton est truculente sur bien des points. La description qu’il fait des restaurants McDonald’s en témoigne. Après avoir constaté la régression qui consiste à se nourrir avec les doigts (quand Norbert Elias avait fait de l’utilisation de couverts une étape de la « civilisation des mœurs »), il évoque l’artificialité du restaurant comme de la nourriture qu’il propose. Les aliments sont « le produit d’une technique industrielle qui condamne toutes les nuances du goût. Le goût s’éduque ou s’abîme. Il est douteux qu’il gagne en finesse à consommer un pain de carton-pâte, des sauces qui écrasent tout ce qu’elles touchent ou des desserts gorgés de sucre ».

Ainsi, c’est le monde procédural que Bénéton analyse, celui d’une rationalisation froide qui néglige l’humain, détruit la sensibilité et le bon goût, tout ce qui enrichit l’être de l’homme. Les thèmes qu’il aborde sont nombreux, tantôt profonds tantôt plus légers, mais toujours traités avec cette finesse de ton qui fait mouche.

Le Dérèglement moral de l’Occident de Philippe Bénéton. Éditions du Cerf,  22 euros.

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