(…) Pourquoi honteux? Tout d’abord parce que nulle part l’objectivité n’affleure. Les critiques assénées ne sont pour ainsi dire jamais justifiées. Prenons un exemple. Au sujet des réponses aux attaques terroristes, le rapport mentionne que «700 personnes environ ont fait l’objet de poursuites pour avoir incité au terrorisme ou en avoir fait l’apologie, en vertu d’une nouvelle disposition («apologie du terrorisme») qui avait été introduite dans la loi anti-terroriste de 2014. Compte tenu de la définition très vague de cette infraction, les autorités ont souvent poursuivi des personnes pour des déclarations qui ne constituaient pas des incitations à la violence et relevaient de l’exercice légitime de la liberté d’expression.» Que signifie ce «souvent»?
(…) Ensuite, un autre aspect tout à fait honteux concerne la malhonnêteté intellectuelle qui préside à l’écriture de ce rapport. Les auteurs n’ont, semble-t-il, que faire de l’objectivité qui devrait présider à toute étude sérieuse. Leur objectif premier est la condamnation des actions gouvernementales, dont ils ont décidé ab initio qu’elles étaient mauvaises, contraires à l’éthique politique, à la morale et aux droits de la personne. L’enquête est donc conduite à charge, uniquement.
(…) Enfin, le positionnement politique des auteurs, notamment en ce qui concerne la crise des réfugiés, fait question. Le lecteur de ce rapport est en droit de se demander comment des «spécialistes» de relations internationales, habitués à scruter les implications politiques, sociétales, humanitaires des crises internationales peuvent céder à une lecture si naïve des faits. Les auteurs prennent acte des «proportions mondiales» de la crise des réfugiés, et du caractère «illégal» de l’entrée dans l’UE de plus d’un million de personnes. Et on leur en sait gré. Cependant, si l’on peut s’accorder sur le constat brut, il est impossible de les suivre dans l’interprétation qui en est faite.
Premièrement, alors qu’ils condamnent en bloc l’UE, ils disculpent l’Allemagne sous prétexte qu’elle a accueilli à elle seule un demi-million d’individus: «Seule l’Allemagne a fait preuve d’une volonté politique à la mesure de l’importance du problème». Comment croire que la chancelière allemande a pris en compte autre chose que l’intérêt économique de son pays et son intérêt politique propre? Il n’y a aucune dimension humanitaire dans son acte, et le croire serait faire preuve de la plus grande naïveté. La preuve en est que qu’alors que les conditions de migration ne vont pas s’améliorer dans l’année à venir, la «volonté politique» allemande va se transformer sensiblement. Et heureusement, car cet appel d’air est une folie, à la fois pour l’UE et pour le peuple allemand. Les conséquences de moyen et long termes de ce problème, qui ne commenceront à se révéler que dans quelques années, ont largement été ignorées par la chancelière, laquelle porte, contrairement à ce que prétend Amnesty international, une responsabilité majeure dans la mauvaise gestion de cette crise.
Ceci nous amène au second point: les motivations des réfugiés. Si les réfugiés font le choix de l’Europe – avec ce que la traversée comporte de risques – plutôt que le choix des pays frontaliers, c’est que la sécurité physique n’est pas leur seule préoccupation, la sécurité matérielle entre également en ligne de compte, ainsi que la construction économique de leur avenir. C’est d’ailleurs ce que confirment les intéressés eux-mêmes lorsqu’on les interroge .
(…) L’Europe est en train de nouer la corde avec laquelle elle sera pendue. Car ni l’assimilation ni aucune forme d’intégration ne sera réalisable à si grande échelle. Quant à l’UE en tant qu’ «ensemble politique le plus riche de la planète», tel que mentionné par le rapport, il ne s’agit que d’une illusion. La machine économique libérale est très fragile, et elle est constamment soumise aux impératifs financiers les plus exigeants. Il serait inconséquent de laisser croire que la somme des PIB est convertible instantanément en un tas d’or utilisable à toutes fins. Cette richesse n’est même pas suffisante pour permettre aux pays de l’UE de se désendetter en un temps raisonnable, elle n’est peut-être même pas suffisante pour leur permettre de survivre aux crises financières mondialisées qui se répètent à un rythme croissant.