Ainsi que nous le subodorions, le Conseil constitutionnel vient de censurer la loi sur le génocide arménien.
Admettant qu’il est loisible au législateur de restreindre la liberté d’expression, les Sages ont toutefois considéré que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». Ainsi, « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
L’article 6 de la Constitution énonçant que « la loi est l’expression de la volonté générale… », le Conseil en a déduit que « la loi à pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative ».
Il a ainsi estimé « qu’une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi ». Or la loi sur le génocide arménien, en son article premier, pénalisait la contestation de crimes « reconnus comme tels par la loi française ». Le Conseil en a donc déduit « qu’en réprimant ainsi la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication » et a censuré la loi pour ce motif.
En d’autres termes, la loi ne peut pas avoir pour objet de reconnaître un crime puis de le réprimer, sous peine d’être déclarée inconstitutionnelle. Ainsi la pénalisation d’un crime uniquement reconnu par la loi serait inconstitutionnelle.
Quelles vont être les implications de cette décision sur la législation française ? La Loi Gayssot est-elle menacée ? Le Conseil semble avoir voulu répondre partiellement à cette question. A la fin de son communiqué de presse (qui a une portée explicative et non normative), le Conseil explique qu’il « n’avait pas à connaître de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe qui ne réprime pas la contestation de crimes « reconnus par la loi ». » Que veut dire cette dernière phrase ? Tout simplement que si la Loi Gayssot (du 13 juillet 1990) a une portée similaire à la loi censurée, elle a une structure très légèrement différente. La loi du 13 juillet 1990 dispose ainsi que : « seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. »
La loi Gayssot ne réprime pas la contestation de crimes « reconnus par la loi », à proprement parler mais de crimes reconnus par des tribunaux. Or le Conseil a censuré la loi sur le génocide arménien car elle reconnaissait un crime, puis venait réprimer la contestation de celui-ci. La Loi Gayssot ne reconnait aucun crime, elle pénalise la contestation de ceux reconnus par certains tribunaux. Elle ne pourra donc visiblement pas être censurée, en tout cas pour ce motif, si toutefois elle est portée un jour à la connaissance du Conseil constitutionnel.
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