Depuis le début de la crise des gilets jaunes, les forces de l’ordre sont débordées, voire à cran, car surexploitées (comme le démontre, entre autres, un article de lexpress.fr du 18 janvier). Le maintien de l’ordre est un art et non une science. En tant que propriétaire du monopole de la contrainte légitime, la police ne fait qu’un avec l’État sur la voie publique. Platon avait défini le roi (ou le politique) comme étant le seul à même de relier les différents éléments de la Cité sur la base de l’art du tissage. Dès lors, le rétablissement de l’ordre public passe par le discernement dans le jugement avant d’agir.
Mais dans une technocratie, socle de toutes les démocraties modernes, la liberté de conscience ne s’exerce pas, elle se délègue. Le policier, ou bien le gendarme, ne fait rien sans être mandaté par un supérieur de sa préfecture qui, lui, ne décide rien sans injonction ministérielle. Et au sommet de la pyramide des responsabilités, c’est le chef de l’État qui donne le mot d’ordre général. En dehors du fait que l’usage massif du gaz lacrymogène et des nouveaux Flash-Ball® a entraîné des blessures considérables parmi les manifestants depuis les neuf dernières semaines (1.700, d’après Manon Aublanc dans le 20 Minutes du 16 janvier), il demeure fondamental de ne point incriminer des exécutants, pieds et mains liés par un pouvoir cynique et inique.
Macron ne gagne pas quatre points d’opinion positive par hasard : pour sauver son quinquennat, il n’a d’autre choix que de se thatcheriser, d’être « une main de fer dans un gant de velours ». Les « libéraux-traîtres » continueront de se rallier à lui. C’est inéluctable. En attendant, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et son secrétaire d’État Laurent Nuñez auront beau jeu de faire comme si les policiers n’avaient d’autre choix que d’estropier « les Gaulois réfractaires au changement », métamorphosés soudainement en bêtes enragées.
Tout cela est bien commode pour masquer la désespérance des policiers – 51 suicides en 2017 et plus d’une vingtaine en 2018 -, englués dans une structure juridique pour qui le délinquant des cités ou bien l’immigré fraîchement arrivé reste inlassablement la vache sacrée.
Après tout, la chair à canon est faite pour être sacrifiée… En vérité, les arrestations se réalisent a posteriori grâce à la vidéosurveillance. Comme dans un État totalitaire, Castaner laisse voir qu’il passe au peigne fin les réseaux sociaux des manifestants (en arrière-plan d’une conférence de presse improvisée pour le compte des chaînes info, le 17 novembre 2018). L’État sait qui il arrête et pour quoi. Beaucoup, parmi les casseurs (souvent bourgeois d’extrême gauche) et les pilleurs (souvent des mineurs de banlieues), ont fait l’objet de trop peu d’arrestations, comme semble le constater Jean Chichizola dans Le Figaro du 9 décembre 2018.
Il y a, visiblement, les bons et les mauvais truands, en Macronie. Un cercle vicieux s’engage parce que ces images de violence nourrissent des smartphones et réciproquement. On doit voir qu’un monde où chacun sera le guetteur de l’autre se prépare sous nos yeux. Pauvre police française ! L’État démocratique tend à mettre à sa botte des êtres téléguidés, des vivants atrophiés qui ne boivent pas, ne fument pas et ne roulent pas en diesel. Même en matière de sécurité, la défrancisation est désormais en marche.
Henri Feng -Boulevard Voltaire