Ces “foies divinatoires” sumériens vieux de 3.800 ans sont les plus anciennes traces de ces pratiques parvenues jusqu’à nous. Directement façonnées à partir d’organes d’animaux sacrifiés, ils reproduisaient malformations ou anomalies du foie. Pour mieux étudier ces pièces uniques conservées au musée du Louvre, les chercheurs les numérisent en 3D, dans le cadre d’une vaste campagne internationale de numérisation des tablettes sumériennes conservées dans les plus grandes institutions du monde. Ce projet de grande ampleur s’inscrit dans la droite ligne des “Cinquante propositions françaises destinées à la protection du patrimoine de l’Humanité”, rapport présenté le 17 novembre au président de la République, par Jean-Luc Martinez, l’actuel directeur du musée du Louvre.
En Mésopotamie, aucune décision n’était prise sans la consultation d’un devin
En ce matin ensoleillé, Julien Curie, fait tourner ces modèles en tous sens sur l’écran de son ordinateur. “En Mésopotamie, le foie était considéré comme l’organe de l’âme. Une discipline, appelée hépatoscopie, se donnait ainsi pour but de prédire l’avenir par le biais de son observation”, explique ce jeune chercheur du laboratoire ArScAn (Archéologies et sciences de l’Antiquité) -UMR 7041, à Nanterre (Hauts de Seine). Il analyse ainsi en détail les 16 maquettes d’argile conservées à Paris sur les 32 découvertes sur le célèbre site de Mari (Tell Harriri), dans l’actuelle Syrie, par André Parrot entre 1935 et 1936. Elles ont été exhumées des décombres de l’ancien palais du souverain Zimrilim, détruit par un incendie en 1759 avant notre ère. Ces moulages portaient des inscriptions cunéiformes en akkadien, la langue sémitique utilisée par les Sumériens entre le 3e et le 1er millénaire avant notre ère. “Nous essayons de percer le mystère concernant le rôle qu’ont pu jouer ces maquettes et les présages qui y étaient associés”, poursuit l’archéologue. En Mésopotamie, la divination était en effet l’un des éléments centraux de la vie politique, sociale et religieuse. Aucune décision n’était prise sans la consultation d’un devin, appelé bârû, que l’on soit simple commerçant ou souverain. (…)
Des maquettes peut-être destinées à l’enseignement
Affinant toutes les traductions entreprises dès les années 1930, Laurent Colonna d’Istria est parvenu à déchiffrer, par exemple, des prédictions adressées au roi Sargon (2334-2279 avant notre ère) ou d’autres liés à des batailles, comme la prise de la ville d’Apisal par le souverain Naram-Sin, ou la destruction d’Our, la plus célèbre cité de Mésopotamie, par l’Élam, un pays de l’ancienne Perse. Certaines sont aussi des présages historiques, comme l’annonce de rébellions possibles ou de conquêtes à opérer. Reste cependant une question clé. Pourquoi les Mésopotamiens ont-ils pris soin de fabriquer ces éléments en argile alors que les divinations se faisaient directement sur les organes vivants? ” Il se peut que ces répliques en argile aient été destinées à l’enseignement de l’hépatoscopie. Des spécialistes auraient très bien pu les utiliser pour transmettre leur savoir à des disciples “, suggère Laurent Colonna d’Istria. Ou pour répertorier l’ensemble des prédictions en fonction des formes de foie rencontrées.
Une “encyclopédie” réalisée par un seul scribe
Les recherches de l’épigraphiste ont ainsi permis d’établir que les maquettes provenant de Mari ont été l’oeuvre… d’un seul scribe. ” Comme si, à un certain moment, un devin avait senti le besoin de compiler des informations provenant de traditions de régions différentes,” indique Laurent Colonna d’Istria. Une sorte “d’encyclopédie divinatoire”, en quelque sorte.