Couvrant les années 1978-1985, le premier volume du Journal posthume de l’écrivain en révèle moins sur sa personne que sur la construction d’une réflexion émancipée des dogmes et des maîtres à penser de l’époque.
Parmi les journaux intimes, il convient de distinguer ceux que l’on publie de son vivant, comme ceux d’André Gide ou de Julien Green, dont la sincérité et la spontanéité restent douteuses, et ceux publiés après la mort de leur auteur, à l’instar de Stendhal et d’Amiel, auxquels on peut accorder davantage de crédit quant à la franchise et l’authenticité.
Nuançons : le Journal littéraire de Léautaud, dont les premiers tomes parurent peu avant la mort de l’écrivain, ne paraît nullement écrit “pour la galerie” et ne dissimule rien des petitesses et des préjugés de l’ermite misanthrope de Fontenay-aux-Roses, tandis que celui de Jules Renard, édulcoré par les ciseaux de sa veuve abusive, ne reflète sans doute pas entièrement le caractère atrabilaire de l’auteur de Poil de carotte.
Entre la mise à nu de la personnalité du diariste et la sculpture de soi, entre la météorologie de l’âme et le souci de justifier ou de donner à son existence une tournure littéraire, le journal intime reflète toutes sortes d’enjeux et revêt toutes les formes. De quel genre relève celui de Philippe Muray, disparu en 2006, et qui vient de paraître, posthume, aux Belles Lettres ?
À en juger par ce premier volume couvrant les années 1978-1985, qui doit être suivi de plusieurs autres (Muray clôture son Journal en 2004, car « d’une part il commençait à m’ennuyer, comme ma vie, et, d’autre part, il m’occupait suffisamment pour que je n’aie pas le temps d’écrire autre chose »), il appartient davantage à la catégorie des cahiers intellectuels qu’au journal intime. Autrement dit, les réflexions, les lectures et le commentaire de l’oeuvre en cours y tiennent une place beaucoup plus importante que les contingences extérieures et les confidences autobiographiques. Mais il est vraisemblable que les volumes suivants infléchiront cette tendance.
Compagne de l’écrivain, Anne Sefrioui a dû se livrer à un long et minutieux travail de décryptage de la partie manuscrite puis d’unification des textes. Avec courage, elle a pris la décision de publier cet inédit majeur quasi in extenso, sans retouches, bien qu’elle y soit exposée et qu’elle ait eu quelques raisons d’en redouter la lecture. Sur les 600 pages de ce premier volume, seules une dizaine ont été retranchées, car touchant à sa vie intime…Lire la suite…
Ultima necat. Journal intime 1978-1985, de Philippe Muray, Les Belles Lettres, 624 pages, 35 €.