« Sous quoi s’endort la sentinelle ? La sentinelle ne s’endort sous aucun prétexte », dit la galéjade bien connue dans les casernes. Plus sérieusement, l’opération intérieure (« Opint ») sans précédent déclenchée dans le cadre du Plan Vigipirate porté à son niveau maximum « d’alerte attentat » vient, quinze jours après des attentats, d’être baptisée « Sentinelle » et cela dit bien ce que cela veut dire.
Même si le détail de cette prouesse logistique est passé inaperçu, les Français ont salué l’effort méritant des armées, qui ont réussi à mobiliser plus de 10 000 hommes – autant que l’ensemble de nos soldats actuellement en opérations extérieures (« Opex ») – et à les déployer sur le terrain en seulement trois jours.
Mais une question capitale se pose : combien de temps va durer cette mobilisation ? Combien de temps peut durer l’opération « Sentinelle » ? C’est une vraie question à laquelle personne n’a vraiment de réponse à l’heure présente. Au terme du dernier Livre blanc de la Défense et de la Sécurité, le « contrat opérationnel » fixé aux armées était de pouvoir mobiliser 10 000 hommes sur le territoire national pendant un mois. Nous y sommes !
Pour ce faire, nombre des militaires (déployés dans les rues de Paris et des grandes villes pour protéger des sites sensibles, patrouiller dans les gares ou à proximité immédiate des grands magasins ou des principaux sites touristiques pouvant être visés par un attentat) ont été rappelés en urgence. En moins de 48 heures, certains ont appris que leur permission était suspendue et sont rentrés dare-dare de vacances, d’autres ont vu leur entraînement ou leur formation s’arrêter net du jour au lendemain, d’autres enfin, qui devaient être envoyés à l’étranger ou comme « forces de présence » outre-mer, ont constaté que leur destination finale et leur mission changeaient en plein vol.
Mais, pour être pleinement efficace et opérationnel H 24, combien de temps « Sentinelle » peut-elle tenir ? Car, dans moins de quinze jours maintenant, se posera la question de la relève. Pour une simple et bonne raison : face à une menace aussi présente et diffuse que le terrorisme, en milieu urbain notamment, même les hommes les plus aguerris ne peuvent rester en veille et sur leur garde en permanence plus d’un mois d’affilée.
Des « cellules dormantes » prêtes à passer à l’action
Au bout d’un certain temps, la vigilance se relâche ou, en raison du stress qu’entraîne cette mission difficile et risquée, de bonnes mauvaises habitudes se prennent… Il faut donc régénérer les troupes et les énergies : c’est l’heure de la relève qui est en général – tous les militaires vous le diront – la manœuvre la plus risquée. C’est à ce moment précis, si la manœuvre n’est pas parfaitement réglée et huilée, que peuvent apparaître des failles dans le système ou la cuirasse, qui sont autant de brèches pouvant révéler une réelle vulnérabilité et sauter aux yeux de « l’ennemi de l’intérieur » qui observe et analyse la posture des hommes qui lui font face. Et l’on sait que, malheureusement, les « cellules dormantes » de djihadistes prêts à passer à l’action en France ne manquent pas dans nos banlieues.
C’est précisément pour que cet effort de sécurité sans précédent, visant à déjouer tout nouvel attentat et à rassurer nos compatriotes, puisse perdurer sur plusieurs mois si nécessaire que le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, a réussi à convaincre le président de la République qu’il fallait arrêter net la déflation programmée des effectifs dans les armées et sagement revenir en arrière au plus vite. Et il a pour une fois obtenu gain de cause. C’était cela ou la sentinelle, au sens propre comme au figuré, ne pouvait jamais être relevée !
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