Entretien avec Jacques Trémolet de Villers.
— Avant de passer en revue quelques événements politiques de l’année écoulée, un mot sur les meurtres perpétrés par des terroristes islamistes. Vous aviez eu l’occasion de plaider contre Charlie Hebdo ?
— Oui, à plusieurs reprises. Nous nous étions affrontés, mais devant la dix-septième chambre correctionnelle, comme des gens civilisés… Ce genre d’affrontement créé des liens. Quand on voit les adversaires avec lesquels on s’est confronté devant un tribunal brusquement décimés, avec autant de sauvagerie et de barbarie criminelle, on en reçoit un choc encore plus fort. Un chrétien doit combattre ses adversaires sans les mépriser ni les haïr. En même temps, j’éprouve une vraie tristesse, parce que l’hommage officiel qui a été rendu à ces morts revêt, comme toujours dans la République du Panthéon, un aspect effroyablement glacé. Le vide des discours reflète bien le néant spirituel qu’il recouvre. Quand des chrétiens sont assassinés, on pleure et, en même temps, le cœur conserve l’espérance. Là, on peut espérer pour eux contre toute désespérance, mais nous n’en avons pas vu la moindre traduction publique. Un pèlerinage, une marche à Notre-Dame, cela revêt un sens. Une marche républicaine, ça vous enterre deux fois le défunt.
— Revenons à 2014… Année de la Manif pour tous ?
— C’est un grand mouvement social qui a en effet planté ses racines dans le plus profond de l’histoire de France et de l’âme française. C’est une résurgence de la France de toujours et cela constitue pour moi un grand motif d’espérance. Même si l’on m’objecte souvent : « mais ce mouvement n’a pas de traduction politique ». Pour l’instant, effectivement, il n’en a pas. Il n’y a pas de cadre politique qui soit conforme et adapté à ce que sont les militants et les marcheurs de la Manif pour tous. Ces derniers ne peuvent qu’irriguer les partis politiques existants, enfin ceux qui ne sont pas trop hostiles à ce qu’ils représentent. Une grosse majorité des animateurs de la Manif pour tous sont des jeunes gens dont la plupart se méfient des partis politiques et de leurs tentatives de récupération. Ces jeunes, que je connais bien, rêvent d’un autre avenir. D’une structure nouvelle à inventer et à construire…
— Pourtant, paradoxalement, 2014 c’est aussi la poussée électorale du Front national aux élections municipales et européennes.
— La poussée du mouvement national n’a rien de paradoxal. Elle va dans le même sens, avec peut-être une autre accentuation. Les deux choses sont complémentaires. Elles expriment une même signification : le peuple français ne veut pas mourir et, quand on l’appelle à une consultation électorale, il le dit de plus en plus clairement. Il le dit en descendant dans la rue avec La Manif pour tous, mais aussi en votant pour le mouvement national. Dans cette configuration, beaucoup d’électeurs traditionnels de l’UMP ont voté pour le Front national. Ces électeurs partagent sur ce sujet les mêmes préoccupations et les mêmes sentiments que les électeurs du mouvement national. Cette progression, vu la situation économique et sociale, vu l’insécurité grandissante, vu les échecs de nos gouvernements successifs, ne peut évidemment que se poursuivre. J’ai entendu Houellebecq à qui un journaliste demandait, sur un ton de reproche, s’il n’avait pas l’impression avec son livre Soumission, de faire de la pub pour Marine Le Pen répondre : « Elle n’en a pas besoin. » Effectivement. Elle n’en a pas besoin. Elle est portée par le rejaillissement de la France française…
— Un mot sur l’impopularité record de François Hollande, que vous avez déjà soulignée ci-dessus ?
— Impopularité présidentielle, certes. Mais surtout impopularité du régime. C’est un autre signe de ce changement en cours. Beaucoup plus encore que ses prédécesseurs Hollande incarne, par son insignifiance même, ce que sont devenues aujourd’hui les institutions dirigeantes de notre pays, complètement inopérantes et de plus en plus inappropriées. Hollande est arrivé à l’Elysée sur un malentendu : le rejet de son rival. Et maintenant nos concitoyens comprennent qu’ils ont mis à la tête de l’Etat, dans un mouvement de mauvaise humeur, quelqu’un qui n’est tout simplement pas à sa place.
— Quelle remarque vous inspire le retour raté de Nicolas Sarkozy ?
— Nicolas Sarkozy a surtout raté son quinquennat. Il avait fait de bonnes promesses qu’il n’a pas tenues. Voire qu’il a délibérément trahies. Il a tout gâché. Je peux en parler d’autant plus librement que, face à Hollande, j’avais appelé à voter pour lui, ce qui m’avait valu à l’époque quelques lettres courroucées de la part de certains lecteurs de Présent. Aujourd’hui, son retour apparaît comme un plat réchauffé, que les Français ne veulent plus avaler.
— La phrase de Marine Le Pen sur la torture : « Quand une bombe – tic-tac, tic-tac – doit exploser, menaçant de tuer et de blesser de nombreuses victimes, il est utile de faire parler la personne avec les moyens dont on dispose » a donné l’occasion à la classe politico-médiatique de créer l’une de ses polémiques factices qu’elle adore. J’aimerais bien avoir, là-dessus, l’avis de l’avocat que vous êtes ?
— Le problème de la torture avait été très bien traité dans le livre du chanoine Casta, Le Drame spirituel de l’armée, réédité récemment et dont j’ai signé la préface. J’ai très bien connu le chanoine Casta, corse comme moi. Il avait été aumônier du 1er REP, se trouvant ainsi, lors des événements d’Algérie, confronté d’emblée au problème de la guerre révolutionnaire. Une situation inédite, dans laquelle les gouvernants de l’époque, socialistes en tête, avaient jeté l’armée sans aucune préparation psychologique, ne donnant à nos soldats qu’une seule consigne : vaincre cette subversion révolutionnaire et protéger les populations. Les militaires engagés dans ce combat ont donc fait comme ils ont pu. Marine Le Pen a eu raison de dire que celui qui a posé une bombe, quand on l’arrête, ce n’est pas encore un ennemi désarmé. Torturer un ennemi désarmé relève de la méchanceté gratuite et donc, sans conteste, de l’ignominie. Mais quand on cherche à désarmer celui dont la bombe, « tic-tac, tic-tac », va faire des morts et des blessés, cela fait partie de la mission des combattants chargés de protéger à tout prix les populations. Les guerres révolutionnaires sont abjectes et ceux qui les déclenchent en portent l’atroce responsabilité.
— Au terme de ce court regard jeté sur 2014, j’ai envie de vous demander, en hommage au journaliste et animateur de radio Jacques Chancel, décédé le 23 décembre : et la monarchie dans tout ça ?
— En 2014, nous avons célébré le huitième centenaire de la bataille de Bouvines (27 juillet 1214). Cette victoire de Philippe Auguste marqua le triomphe décisif de la royauté capétienne en Europe. Je vais vous raconter à ce sujet une anecdote qui aurait sans doute amusé Jacques Chancel. Elle s’est déroulée cet été dans un relais de pèlerin sur la route de Saint-Jacques de Compostelle. Un soir donc arrivent quelques jeunes gens, dont l’un est un peu plus âgé que ses compagnons. Chacun se présente, selon la coutume, en faisant suivre son prénom du lieu d’où il vient : François de Saint-Etienne, Aurélien de Nantes, Jules d’Auxerre… Et le plus âgé dit : Jean d’Orléans. Au cours du repas, le petit groupe évoque la bataille de Bouvines, que son anniversaire a rendu d’actualité. Et l’un d’eux la raconte tellement bien, avec tant de fougue et de connaissances, que toute l’assistance, captivée, est suspendue à ses lèvres. Le soir, en se couchant, la patronne du refuge dit à son mari : « Nous avons passé une soirée formidable avec un pèlerin qui nous a fait si bien revivre la bataille de Bouvines qu’on avait l’impression d’y participer. » Et son mari, duquel je tiens l’anecdote, lui demande alors comment s’appelle ce conteur prodigieux. « Je ne sais pas. Il est d’Orléans et il se prénomme Jean. » Le mari éclate alors de rire : « Et tu n’as pas fait le rapprochement ? Jean d’Orléans ! Lui n’était pas à Bouvines. Mais son ancêtre Philippe Auguste, si… » Le lendemain matin, au petit-déjeuner, l’identité du Prince a été révélée et les pèlerins sont allés ensemble prier pour le destin de la France et de son prince.
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