Quatre-vingts ans après la guerre d’Espagne (1936-1939), une laïcité agressive resurgit en Espagne. Les actes hostiles au christianisme ont doublé au cours de ces deux dernières années selon le rapport 2016 de l’Observatoire de la liberté religieuse. Certes, comme nombre d’autres pays, l’Espagne a subi des attentats islamistes visant des bâtiments chrétiens et ceux qui les protègent. Mais la virulence de l’offensive laïciste est symptomatique d’une radicalisation idéologique due à des ferments internes. En voici quelques exemples.
Sus aux crèches et aux symboles religieux !
En juillet 2014, l’Association pour la défense d’une université publique et laïque a appelé à la suppression des symboles religieux de l’Université de Grenade, tandis que l’Association Valencienne des Athées et des Libres Penseurs offrait 5 euros pour chaque symbole religieux enlevé. Le 24 décembre 2015, une crèche grandeur nature était vandalisée au parc Taconera de Pampelune. Le maire de Madrid, membre du parti de gauche Podemos a, quant à elle, interdit l’exposition d’une crèche de Noël à la fameuse Porte de Alcalá de la capitale espagnole en 2016 comme en 2015. En réaction, plusieurs centaines de Madrilènes sont venus y déposer des crèches !
On ne compte plus les attaques contre les bâtiments et les symboles catholiques. En juin 2014, des Femen se sont enchaînées à la Cathédrale Almudena de Madrid. En novembre 2014, des membres du même groupe ont profané le cimetière de Paracuellos del Jarama à Madrid, où reposent les restes de 7 000 victimes de la guerre civile espagnole. En octobre 2014, des vandales ont mis le feu à la porte de l’église des Douleurs de Málaga. En août 2015, le même acte de vandalisme a été perpétré contre l’église de Saint-Vincent-de-la-Mer dans la ville d’O Grove.
Les attaques contre des manifestations religieuses n’ont cessé de croître. En mai 2014, la municipalité de Hospitalet de Llobregat a interdit la procession de Notre-Dame de Grâce de Carmona. En juillet 2014, la municipalité de Barcelone a proscrit tous les symboles religieux de la fête de la Vierge de la Miséricorde. À Madrid, la chapelle de l’Université Complutense a été fermée pour empêcher les étudiants d’y tenir une veillée de prières. À Pâques, un groupe féministe a singé une procession des fêtes traditionnelles espagnoles de la Semaine Sainte en proférant des obscénités et des menaces. Le 12 janvier 2015, le parti Podemos a déclaré qu’il abolirait la semaine de Pâques s’il parvenait au pouvoir. Le 13 juillet 2015, le maire de Cenicientos a supprimé le Chemin de Croix du Peuple sous prétexte de respecter « les personnes qui ne professent aucune religion ou qui professent l’islam ». Le retrait des crucifix de lieux publics est devenu une pratique courante, comme dans les municipalités de Hellin (Albacete), Cádiz, Ciudad Real, Cordoue et Palma de Mallorca… En février 2016, le conseil municipal de Madrid a fait enlever du cimetière de Carabanchel Bajo une plaque commémorant l’exécution de huit jeunes carmélites au cours de la Guerre civile espagnole.
Harcèlements à répétition contre les évêques
La hiérarchie et le clergé catholiques subissent des harcèlements répétés. L’archevêque de Madrid a été vivement critiqué par les partis de gauche, en avril 2014, pour avoir averti dans une homélie : « Il y a des faits et des attitudes qui ont provoqué la guerre civile et qui peuvent encore la provoquer à nouveau ». En septembre 2014, la « Confédération espagnole des personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles et transgenres » a intenté un procès à l’évêque d’Alcalá de Henares pour incitation à la « haine et à la violence contre les personnes LGBT ». Le mois suivant, la municipalité appelait au « bannissement » de l’évêque, parce qu’il avait qualifié de « train de la mort » le « train de la liberté » pro-avortement exposé à Madrid.
En février 2015, le gouvernement régional d’Andalousie a interdit les visites de l’évêque de Cordoue dans les écoles. En juillet 2015, le parti politique catalan pro-indépendance Candidature d’Unité Populaire, a demandé au maire de Barcelone d’interdire les activités des Petites Sœurs du Couvent de l’Agneau et d’expulser les religieuses. C’est parfois allé jusqu’aux agressions physiques. Le 10 mars 2015, un membre du clergé a été battu à Valence, et le 3 novembre 2015, un prêtre âgé de 87 ans a été frappé à Málaga.
Dans plusieurs régions d’Espagne, l’élection de membres de partis de gauche radicale au sein du gouvernement local a eu des répercussions sur la liberté religieuse. Ils ont multiplié les critiques contre le Concordat qui régit les relations Église-État et les « privilèges » qu’il accorderait à l’Église catholique. Le secrétaire général du Parti Socialiste des Ouvriers Espagnols (PSOE), principal parti d’opposition en Espagne, exige son abrogation. Revendication relayée au parlement régional de Castilla-La Mancha, par le PSOE et le nouveau parti d’extrême gauche Podemos. Des accusations de malversations financières ont été portées contre l’Église catholique pour contester les exemptions fiscales qui lui sont légalement accordées comme à d’autres institutions. En mars 2015, la Gauche Unie, une coalition de partis dont le noyau dur est le Parti Communiste, a appelé le Conseil municipal de Madrid à les supprimer. On conteste aussi à l’Église la possession de certains actifs. Le gouvernement régional de l’Andalousie, contrôlé par le PSOE et le parti Podemos, veut confisquer à l’Église catholique la cathédrale de Cordoue, ancienne mosquée construite sous les Omeyyades au VIIe siècle, mais cathédrale de la ville depuis sa reconquête par Ferdinand de Castille en 1236 !
Par ailleurs, la religion catholique est la cible d’activités prétendument culturelles à financement public. En novembre 2015, une « œuvre d’art » a été exposée dans l’Hôtel de Ville de Pampelune, gouvernée par la gauche nationaliste. Elle représentait le mot « pédérastie » énoncé avec 242 hosties consacrées ! « L’artiste » qui a volé ces hosties à Madrid et à Pampelune avant de se faire photographier nu au milieu d’elles a été relaxé de l’accusation de « profanation » par un juge à la mi-novembre 2016. Celui-ci a estimé qu’utiliser ces « petits objets ronds et blancs » pour une œuvre d’art n’était pas une profanation ! Les photos, exposées dans une salle appartenant à la ville de Madrid et la vente des hosties auraient rapporté 268 000 dollars à « l’artiste », selon l’agence de presse américaine Catholic News Agency (CNA).
L’Association espagnole des juristes chrétiens à l’origine de la plainte a fait appel, tandis qu’une pétition et de nombreuses manifestations ont demandé le retrait de l’exposition. 4500 fidèles ont assisté à une messe expiatoire célébrée par l’archevêque de Pampelune
L’éducation religieuse dans les écoles est qualifiée d’« endoctrinement ». En février 2014, le groupe de gauche au Parlement régional de Valence, a réclamé la suppression de l’instruction religieuse du programme scolaire. En décembre 2014, les régions de l’Andalousie, de Castille-Leon, du Pays-Basque, des îles Canaries, des Asturies et de la Galice ont réduit les classes religieuses au minimum requis par la loi : 45 minutes par semaine. Le 6 mars 2015, le Parti Uni de la Gauche s’est plaint auprès de la Commission européenne de l’inclusion de l’éducation religieuse dans les programmes scolaires. Le 13 avril 2015, le secrétaire général du PSOE a annoncé que si son parti devait remporter l’élection, sa nouvelle loi sur l’éducation exclurait les cours religieux du cursus scolaire.
Mots d’ordre de la gauche : « déconfessionnalisation », « laïcisation »
Les mêmes partis de gauche prônent des mesures juridiques appelées « mouvements de déconfessionnalisation » ou « motions de laïcisation » pour bannir tous les symboles et toutes les expressions religieuses de l’espace public et des actes officiels, et pour éliminer toute référence religieuse des noms de rues, d’écoles et d’établissements publics.
Un tel faisceau d’intolérances rappelle l’anticléricalisme virulent des années trente en Espagne. Le pays est sur une pente glissante, savonnée, pourrait-on dire, par le principal parti de gauche en Espagne, le Parti socialiste des ouvriers (PSOE), et la montée rapide d’une gauche plus radicale et anticléricale, représentée par Bildu (gauche basque pro-indépendance), Compromis (nationalistes et écologistes de gauche à Valence), Gallegas Mareas (Marées galiciennes), et divers groupes locaux de Podemos, qui occupent maintenant un certain nombre d’offices publics.