Les attentats du 13 novembre ont mis en lumière le rôle de Jawad Bendaoud, qui a fourni l’appartement dans lequel Abdelhamid Abaaoud et Hasna Aït Boulahcen ont été tués à Saint-Denis. M. Bendaoud est aujourd’hui déféré après avoir été en garde à vue pendant six jours, ce qui est assez exceptionnel et prévu uniquement en cas de risque d’action terroriste imminente ou pour les besoins d’une coopération internationale.
Mais ce qui choque aujourd’hui légitimement l’opinion publique, c’est le parcours judiciaire particulièrement lourd de cet individu et le fait qu’il ait pu se trouver en liberté.
Il a en effet été condamné en novembre 2008 à 8 ans de prison pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et non pour homicide volontaire, ce qui aurait sans doute conduit à une peine plus lourde. Les faits s’étaient déroulés en décembre 2006. Jawad Bendaoud avait porté un violent coup de hachoir en plein thorax à un individu mineur, pour un différend lié à un portable…
Ce qui est malheureusement intéressant, c’est de relire la plaidoirie de l’avocat général qui, à l’époque, avait décrit une «personnalité impulsive et très nerveuse». Il ajoutait: «Jawad n’est toujours pas dans la reconnaissance absolue de son geste, il est toujours dans un discours de déresponsabilisation, parle du drame comme d’une chose vécue, mais dont il ne se voit pas acteur».
On touche surtout du doigt une carence de notre système judiciaire, une nouvelle fois mise en lumière à la suite d’une tragédie, terroriste en l’occurrence, celle de l’insuffisante évaluation de la dangerosité d’une part, et du suivi judiciaire des criminels d’autre part.
«Les deux années écoulées depuis le drame n’ont pas conduit l’accusé sur le chemin de la réhabilitation». Même s’il faut se garder d’une interprétation facile a posteriori, cela peut laisser penser à des traits psycho-pathologiques sur l’absence d’empathie pour la victime par exemple.
On touche surtout du doigt une carence de notre système judiciaire, une nouvelle fois mise en lumière à la suite d’une tragédie, terroriste en l’occurrence, celle de l’insuffisante évaluation de la dangerosité d’une part, et du suivi judiciaire des criminels d’autre part. Depuis 2010, l’Académie de médecine préconise l’utilisation des échelles actuarielles d’évaluation de la dangerosité. Nous soutenons cette idée depuis de nombreuses années, notamment aux côtés du Dr Alexandre Baratta. Malheureusement, ces outils modernes d’évaluation de la dangerosité ne sont toujours pas utilisés, ou trop rarement, en France. Ils sont pourtant indispensables pour mieux évaluer les individus dangereux ou non.
Mais en dehors de ses années de prison (2008 – 2013) pour coups mortels, M. Bendaoud cumule 13 condamnations depuis 2010: détention d’armes aggravée en réunion, faux et usage de faux, conduite en état d’ivresse et sous l’emprise de stupéfiants, violences conjugales, violences aggravées en réunion.
Une question s’impose: comment se fait-il qu’un individu déjà condamné pour coups et blessures ayant entraîné la mort ne soit pas en détention en cumulant 13 condamnations depuis 2010? Car soulignons qu’il a aussi été condamné à six mois d’emprisonnement en mars 2014 pour violence aggravée avec armes. Puis en avril 2014, alors en détention, il est condamné pour possession de stupéfiants, appel anonyme, faux, et recel. En janvier 2015, il est condamné à 10 mois d’emprisonnement pour dégradation aggravée en réunion et détention d’armes aggravée en réunion et, en août 2015, il est condamné pour violences conjugales… à une mesure alternative malgré ses 13 condamnations précédentes, dont une pour coups et blessures ayant entraîné la mort!
Un tel parcours relève malheureusement d’une forme de délinquance et de criminalité du « quotidien ».
D’autant plus qu’entre-temps, à sa sortie de prison en septembre 2013, Jawad Bendaoud est devenu «le caïd» de la rue du Corbillon à Saint-Denis (là, où la police est intervenue contre les terroristes), et est mêlé à toutes sortes de trafics et fait régner la terreur selon plusieurs riverains. Il est aussi «l’homme à tout faire» de marchands de sommeil, qui sont les «esclavagistes» des temps modernes.
Un tel parcours relève malheureusement d’une forme de délinquance et de criminalité du «quotidien». Face à l’ampleur de celles-ci, notre système judiciaire, a parfois baissé les bras, se trouve submergé ou fait parfois preuve, pour certains juges d’angélisme, d’aveuglement et de laxisme idéologique.
Ce n’est plus acceptable.
Aujourd’hui, les liens entre terrorisme d’une part, et délinquance et criminalité «ordinaires» d’autre part, sont enfin reconnus. Pourtant, le parcours de certains terroristes du mois de janvier et même de Mohamed Merah en 2012 auraient dû alerter. De nombreux spécialistes tiraient la sonnette d’alarme depuis longtemps mais on ne voulait pas les écouter car il ne fallait pas aller à rebours d’une certaine idéologie…
En effet, Jawad Bendaoud est un multiréitérant. Rappelons que la réforme pénale du gouvernement votée en août 2014 a entériné la suppression des peines plancher pour les récidivistes, la suppression de la révocation automatique des sursis simples en cas de récidive, l’instauration d’un examen automatique aux 2/3 de la peine permettant une libération anticipée. Ces mesures viennent s’ajouter aux crédits de réduction de peine automatiques et supplémentaires qui viennent réduire chaque année de détention de 5 à 6 mois et de l’aménagement ab initio jusqu’à 2 ans de prison qui prévoit que par principe, une peine de prison jusqu’à deux ans est «aménagée» en dehors de la prison… Dans le même temps, on a 100 000 peines de prison fermes qui sont en attente d’exécution chaque année, dont un quart environ ne seront jamais exécutées et dont 50% ne seront exécutées qu’au bout de 7 mois en moyenne.
Ces quelques chiffres, qui ne concernent que la prison (!) soit 10% de la réponse pénale seulement (!), montrent que notre justice est totalement engorgée et ne peut plus faire face. Des profils comme ceux de Jawad Bendaoud sont nombreux. Il faut être capable de donner à la justice les moyens d’agir vite et fort, sans oublier qu’une partie de la magistrature ne voudra peut-être pas coopérer, ce qui n’est heureusement pas le cas de la majorité.
L’exécution de toutes les peines, du travail d’intérêt général à la peine de prison ferme, doit devenir une priorité nationale pour redonner sa crédibilité à la justice et reconquérir toutes les zones de non-droit, comme la rue du Corbillon à Saint-Denis.
Malgré tout, de nombreuses mesures s’imposent. Un renforcement très important des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) qui regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction pour lutter contre la criminalité organisée et la délinquance financière, doit être mis en place. Elles doivent agir de concert pour lutter contre les trafics de stupéfiants, les trafics d’armes, la prostitution et toute l’économie parallèle pour assécher les sources de financement de la criminalité et du terrorisme. Les sanctions patrimoniales et l’action de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) doivent être développées.
L’exécution de toutes les peines, du travail d’intérêt général à la peine de prison ferme, doit devenir une priorité nationale pour redonner sa crédibilité à la justice et reconquérir toutes les zones de non-droit, comme la rue du Corbillon à Saint-Denis. Il faut construire en urgence 20 000 à 30 000 places de prison et permettre un suivi renforcé et efficace de toutes les personnes condamnées et sous contrôle judiciaire théorique.
On ne parviendra pas à lutter globalement contre la délinquance que si l’on s’attaque durablement et fortement à tous les délits. C’est aussi cela l’application de la tolérance zéro et de la «tactique de la vitre brisée» qui permet de restaurer la sécurité des biens et des personnes et de redonner toute sa crédibilité à l’autorité républicaine dont on se gargarise mais que l’on ne mettait pas en œuvre jusqu’aux attentats. Espérons que le terrible électrochoc du 13 novembre pousse enfin à l’action, notamment contre les récidivistes.
Alexandre Giuglaris,délégué général de l’Institut pour la justice.