Avec son film “Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot”, Jacques Rivette, cineaste figure de la Nouvelle vague eut à affronter l’une des plus retentissantes censures du cinéma français. Un dossier à rebondissements, le film étant interdit en 1966 par le pouvoir gaulliste, avant de pouvoir sortir en salles un an plus tard, moyennant une interdiction aux moins de 18 ans.
Adapté d’un livre du 18e siècle de Denis Diderot, “La Religieuse” incarnée par Anna Karina, l’une des actrices fétiches de Rivette, raconte l’histoire d’une jeune fille que ses parents forcent à devenir religieuse contre son gré. Non pas parce qu’elle n’a pas la foi, mais parce qu’elle n’a pas envie de passer sa vie dans un couvent.
Avec ce film austère, Jacques Rivette et son scénariste Jean Gruault n’avaient pas voulu s’en prendre au catholicisme en tant que tel, mais plutôt à ses dérives intégristes. “Nous n’avons pas cherché le scandale, avait dit le cinéaste en 1966. Ce film n’attaque pas les religieuses ou la religion. Il met juste en cause les fondements de la vie monastique dans des termes extrêmement nobles, de réflexion.”
Le 9 mai 1966, le journaliste François Chalais demande à Rivette si cette affaire est une chance pour lui: “Sur le plan du contact avec le public, oui !”, assure le cinéaste. A sa sortie en 1967, il devient effectivement aussitôt le plus grand succès de Rivette.
Dès 1965, avant même la sortie du film, des associations de parents d’élèves de l’enseignement privé et, surtout, de soeurs, s’alarment. La présidente de l’Union des supérieures majeures écrit fin 1965 au ministre de l’Information, Alain Peyrefitte pour l’alerter sur “ce film blasphématoire qui déshonore les religieuses”.
Le ministre répond: “Je partage entièrement les sentiments qui vous animent.” Il lui donne l’assurance qu’il utilisera tous ses pouvoirs pour empêcher le film de nuire à l’image des religieuses.
En mars 1966, la commission de contrôle autorise la distribution du film, mais celui-ci doit être interdit aux moins de 18 ans. Peu après, le secrétaire d’Etat à l’Information, Yvon Bourges, convoque le directeur de la sécurité nationale, Maurice Grimaud, afin d’évoquer les risques de troubles à l’ordre public que pourrait provoquer le film.
L’avis de la commission n’étant que consultatif, M. Bourges interdit, le 31 mars, la distribution et l’exportation du film. C’est le tollé: le cinéaste Jean-Luc Godard qualifie André Malraux de “ministre de la Kultur” dans une tribune au vitriol publiée dans “Le Nouvel Observateur”.
De nombreuses personnalités, parfois proches de l’Eglise, protestent à leur tour contre cette censure. Le ministre de la Culture, lui-même, n’empêche pas le film d’être projeté au Festival de Cannes 1966. En 1967, le tribunal administratif annule la décision d’interdiction, pour vice de forme. Le nouveau ministre de l’Information, Georges Gorse, lui accorde un visa d’exploitation, mais confirme son interdiction aux moins de 18 ans.
La décision d’annuler la censure du film sera définitivement confirmée par le Conseil d’État en 1975.