François Ier, roi des chimères de Franck Ferrand

“François Ier a été néfaste pour la France! A l’occasion du cinquième centenaire de son couronnement (ndlr, en janvier 2015) je me suis dit qu’il allait y avoir toutes sortes de livres pour raconter qu’il était le plus grand roi, le prince de la Renaissance, le restaurateur des Arts, le père des Lettres, enfin que sais-je ! Sachant, moi, qui était François Ier parce que j’avais beaucoup fréquenté le personnage, si j’ose dire, pour écrire « La Cour des Dames », je me suis dit qu’il fallait quand même que quelqu’un dise la vérité. Je n’avais que les vacances d’été pour le faire, je savais que ce serait un peu court, mais je devais le faire. »

On découvre un François Ier obsédé sexuel, guidé par ses pulsions…
« Oui mais, honnêtement, ce n’est pas le principal trait de son caractère. C’est vrai qu’il avait un comportement compulsif avec les femmes. C’est vrai aussi qu’il s’est laissé manipuler par la première femme de sa vie, c’est-à-dire sa mère, et puis ensuite par ses maîtresses en titre. Mais le principal défaut du personnage est à chercher ailleurs. Il n’est sûrement pas le roi galant, le modèle de respect des femmes qu’on a voulu présenter mais son obsession n’est pas la pire. Il y en a d’autres qui sont plus graves notamment ce goût qu’il avait pour la guerre et cette espèce de fascination pour Charles Quint qui l’amène continuellement à gouverner en fonction de ce que peut faire ou penser l’autre. Le vrai défaut du roi il est à chercher là. »

D’ailleurs, vous le présentez aussi comme une sorte de grand adolescent en perpétuelle rivalité avec Henry VIII et Charles Quint.
« Un peu avec Henry VIII et beaucoup avec Charles Quint. C’est comme ces espèces de couples infernaux, on a connu dans tous les domaines, qui au lieu de s’intéresser à ce qu’ils font sont constamment les yeux rivés sur ce que fait leur rival. Dans le cas de François Ier, c’est vraiment ça. Et on peut le lui reprocher car ça a eu des conséquences épouvantables évidemment pour le pays. Ce que je voulais montrer dans ce livre c’est à quel point ce roi a été néfaste pour la France et fatal pour la monarchie française. Ce qu’on a reproché bien plus tard à Louis XIV, à Louis XV, ce que l’on a appelé l’absolutisme, c’est lui qui en a été le premier responsable. »

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Vous décrivez en effet François Ier comme un « homme sans vertu, sans rigueur, ni constance ». Un mauvais chef d’État.Un très mauvais chef d’État.
« C’était un prince qui pouvait se défendre. C’était un homme sans doute agréable à côtoyer, en tout cas pour ses compagnons d’armes ou de chasse. C’était un brave garçon comme on dit mais un très piètre chef d’État qui n’avait aucune vision, aucune constance, aucune autorité réelle. En revanche, beaucoup d’autoritarisme ; une espèce de souci jaloux et frénétique de son autorité. Le virage qu’il a fait prendre à la monarchie française – et je regrette de ne pas l’avoir écrit dans le livre -, l’a condamnée. Sans François Ier, il est probable que notre monarchie se serait réformée comme dans la plupart des pays d’Europe. Avec lui, tout cela a pris un tour délirant qui ne pouvait que conduire à la Révolution française. Si vous prenez les grands reproches faits à la monarchie – une justice retenue, une complète collusion financière et la main-mise sur l’Église -, tout cela c’est François Ier qui l’a mis en place. »

Et pourtant on a conservé l’image du restaurateur des Lettres qui a fait venir Léonard de Vinci…
« Léonard de Vinci, c’est sa mère qui le fait venir. La fameuse ordonnance de Villers-Côtterets, c’est le chancelier Poyet qui l’édicte. Quant à la création du Collège de France, toujours citée comme la grande invention de François Ier, je démontre dans le livre que ce n’est pas lui qu’on la doit – lui, il a institué les lecteurs royaux pour ennuyer le doyen de l’université et les lecteurs royaux ont donné naissance au Collège de France beaucoup plus tard. On prête à François Ier un grand nombre de vertus qu’il n’avait pas et on en fait une sorte de fondateur d’une France moderne, éclairée. Et je ne parle pas de son terrible bilan militaire, la défaite de Pavie a été l’une des pires de l’Histoire de France et a abouti à la captivité du Roi, ce qui montre le degré d’immaturité du personnage. »

Alors à qui doit-on cette légende ?
« D’abord, à ses propres courtisans. Il y a à la cour un certain nombre de poètes payés pour chanter les louanges du roi, on imprime des gravures à sa gloire. Ensuite, on a voulu le comparer à son fils, Henry II. Et comme Henry II s’était mis à dos tous les protestants et beaucoup de minorités du royaume, on a voulu glorifier son père pour mieux le critiquer. Et puis, il y a eu Catherine de Médicis, l’épouse de son deuxième fils, qui fut au fond la seule personne de sa famille qui l’ait vraiment aimé. C’est elle qui a lancé la légende du grand roi François. Ensuite encore, et c’est encore plus extraordinaire, à partir des Bourbon on a voulu faire une justification de la monarchie absolue et quand des gens comme Richelieu et Colbert ont développé les institutions de la monarchie absolue ils se sont appuyés sur ce qu’avait fait François Ier. Enfin, au moment de la Restauration, après la Révolution et l’Empire, on a voulu faire de lui le père des grandes vertus royales. Sous la République, on a essayé de faire de lui une sorte d’emblème du roi mécène et comme il fallait glorifier la Renaissance on a identifié les réussites de cette période avec les vertus de François Ier. On a peu à peu construit une image éloignée de la réalité. »

Dans le Val de Loire, cette image reste très forte. François Ier est associé aux châteaux notamment.
« Oui, bien sûr, Amboise où il a été élevé, Blois où il a beaucoup vécu, Chambord qu’il a construit lui-même. C’est certain que les grands châteaux de la Loire ont presque tous un lien avec François Ier. Il a été l’homme du Val de Loire et ce qu’il y a de beau, de lumineux dans son règne, c’est dans ce cadre-là qu’il faut le situer. »

On peut dire que ces châteaux sont un bel héritage de son règne.
« Le seul bel héritage de ce règne est architecural, en effet. Et les deux grands chef-d’oeuvre sont Chambord qu’il a créé de toutes pièces, et qui est une merveille absolue – c’est un peu le Taj Mahal français Chambord ! – et puis Fontainebleau. Et là, c’est vrai que ce qu’il a fait à Fontainebleau est assez remarquable et que de ce point de vue il mérite sinon le titre de père des Lettres au moins celui de restaurateur des Arts. On peut lui concéder ça, objectivement. »

Il a aussi un lien avec le Poitou-Charentes d’aujourd’hui puisqu’il est né à Cognac, comme son père. A-t-il cultivé ce lien ?
« Oui, il a cultivé ce lien. Après sa captivité à Madrid, quand il revient en France, il remonte pour s’installer à Cognac. C’est là notamment que sera fondée la fameuse ligue des états contre l’Empire et contre Charles Quint que l’on va appeler la Ligue de Cognac. C’est intéressant de voir qu’au pire moment de sa vie, quand il a envie de se ressourcer et d’oublier la dureté de sa détention, c’est dans son berceau natal, c’est à Cognac, qu’il s’installe. »

Avez-vous lu le livre que Max Gallo vient lui aussi de consacrer à François Ier ?
« Oui, bien sûr. On pourrait presque dire que c’est l’exacte antithèse du mien puisque Max Gallo a mis en avant tous les bons côtés du roi, il les a fait briller et il a en quelque sorte dépoussiéré la grande légende du grand roi François. On pourrait presque dire que Max Gallo est l’avocat de François Ier et que j’en suis le procureur. »

C’est vrai qu’on a le droit au grand roi guerrier, humaniste, amoureux des arts…
« Ce qui en soi n’est pas faux. On ne peut pas dire qu’il n’ait pas été un roi guerrier, on ne peut pas dire qu’il n’ait pas été un roi humaniste ni qu’il n’ait pas été un amoureux des arts. Ce que je dis, c’est qu’en plus de tout cela, il a été un très mauvais roi. Ça, Max Gallo ne le dit pas bien sûr. »

Comment peut-on avoir deux lectures aussi différentes du règne d’un roi ?
« Pour ce qui me concerne, la lecture a procédé d’une surprise. Au départ, quand j’ai commencé à découvrir qui était François Ier, je n’en croyais pas mes yeux. Je préparais les romans de « La Cour des Dames » et à chaque fois que je tombais sur François Ier, je me disais : ” Mais ce n’est pas possible, c’est un sale type ! ” Et j’étais le premier surpris puisque comme tout le monde, je suis allé à l’école et j’en avais une image excellente. Quand j’ai découvert tous ces mauvais aspects, je me suis dit que si on les mettait bout à bout on obtenait un portrait sombre. Est-ce que j’aurais osé le dire s’il n’y avait pas eu l’exemple de Pierre-Louis Roderer ? Je crois que non. Il a fallu qu’un jour je tombe sur un mémoire écrit en 1825 par Pierre-Louis Roderer pour voir enfin formalisé, écrit noir sur blanc, ce que je pensais de François Ier. Ça m’a rassuré. Je me suis dit que je n’étais pas entièrement fou. Ça m’a donné du courage pour oser écrire mon point de vue sur le personnage. »

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