Par Francis Bergeron
Jacques Martin, le père du héros de bande dessinée Alix (qui avait fait son apparition dans l’hebdomadaire Tintin en 1948) est mort en 2010, un 21 janvier, comme Louis XVI. Mais ce prince de la bande dessinée qu’était Jacques Martin avait en fait progressivement perdu la vue, à partir de 1992, victime d’une maladie appelée la macula, et avait donc été contraint d’interrompre son travail sur la planche à dessin.
Comment expliquer alors que paraisse, en cette rentrée 2014, une trente-troisième aventure d’Alix ? L’explication nous en est donnée par l’expert en bandes dessinées Christophe Fumeux : Jacques Martin, à la différence d’Hergé, souhaitait que ses personnages (Alix, mais aussi Lefranc, Xan, Jhen, Arno, Orion, Keos, Loïs) lui survivent. Aussi avait-il écrit à l’avance de très nombreux scenarii, qui continuent à être exploités. Britannia est l’un d’eux.
Jacques Martin imagine dans ce récit que César a fait appel à Alix et à son compagnon Enak pour l’aider à débarquer sur l’île de Britannia. Sept légions et une flotte de plusieurs centaines de navires ont été réunies et s’apprêtent à traverser la Manche (l’Oceanus Britannicus). Alix va se retrouver mêlé à une complexe histoire d’alliances de tribus pour ou contre Rome, de druides et d’Aigles bleus (une troupe d’élite aux ordres d’un clan anti-romain, dont le poitrail est orné d’une croix celte bleue). Avec Jacques Martin, il est toujours difficile de savoir ce qui relève de l’Histoire et ce qui sort de son imagination. L’épisode raconté ici figure-t-il dans La Guerre des Gaules ? Rien n’est moins sûr, mais ce n’est pas impossible non plus.
En tout cas beaucoup de détails de l’histoire sont authentiques : le rôle du hortator sur les bateaux romains (le maître de manœuvre des rameurs), l’importance de la Tamise, appelée la Grande Rivière, pour les Britons, le rôle et la description de la ville de Camulodunon (Colchester), etc.
Quant à la forme, le dessinateur Marc Jailloux nous donne un album qui renoue avec les Alix des origines (ceux qui paraissaient au Lombard, ces mythiques albums au dos toilé rouge et au quatrième de couverture dit à « peau d’ours » ou au « damier ») : textes très denses et dialogues importants. Même si l’image reste bien évidemment le principal support du récit.
Britannia, par Jacques Martin, Mathieu Bréda et Marc Jailloux, Casterman, 2014.