Jean-Marie Le Pen est le fondateur du Front national et, en 1963, d’une société d’édition sonore, la SERP. La grande aventure de cette entreprise éditoriale est moins connue. La musique étant éminemment fédératrice, nous avons voulu savoir comment l’orateur politique et l’éditeur sonore concevaient leur rôle.
— Quand vous n’êtes pas reconduit à l’Assemblée nationale, vous fondez une société qui va rapidement s’orienter vers l’édition musicale et les documents sonores, pourquoi ce choix ?
— Je n’avais pas préparé de carrière, j’aurais dû être avocat mais je n’avais pas de goût pour cette activité. Ayant perdu mon mandat de député, je me suis trouvé dans l’obligation de faire quelque chose. Nous avons créé la Société d’études et de relations publiques. Evidemment, nous ignorions que des gens comme nous ne pouvaient pas faire de relations publiques, nous étions des parias.
J’avais vu l’album de la plaidoirie de Tixier dans l’affaire Salan, j’ai ainsi réalisé mes deux premiers disques sur le procès Bastien-Thiry. Il est interdit d’enregistrer dans les tribunaux, le procès avait donc été enregistré clandestinement – on peut le dire maintenant, parce qu’il est mort – par Me Le Coroller, qui était un des défenseurs. Nous avons fait du document sonore avec beaucoup de scrupules. C’était un créneau que n’exploitaient pas les grandes sociétés discographiques, parce que ça ne leur rapportait pas assez. Le troisième titre a été le centenaire de Camerone, ensuite un disque sur le maréchal Pétain et un disque avec Pierre Fresnay récitant les Poèmes de Fresnes de Robert Brasillach.
— Après ces débuts prometteurs, mais néanmoins assez marqués idéologiquement, vous voulez ouvrir votre catalogue vers d’autres clientèles ?
— J’ai fait ensuite un disque dont j’espérais beaucoup, Papes de notre temps, avec trois papes – Pie XII, Jean XXIII et Paul VI –, en pensant intéresser la nombreuse clientèle des catholiques, mais j’ai mis dix ans avant d’écouler les 2 000 exemplaires du tirage. Puis un disque sur la guerre d’Espagne, avec une face pour les chants républicains et l’autre pour les chants nationalistes, mais c’était un autre mauvais calcul : s’il est original de présenter les répertoires des protagonistes, la clientèle n’apprécie pas la diversité idéologique.
— La SERP s’oriente ensuite vers le répertoire militaire français et étranger, tout en étoffant largement les témoignages sonores et la diction.
— En effet, j’ai ensuite enregistré de la musique militaire avec l’Anthologie de la musique militaire française en quatre volumes, qui a obtenu le Grand Prix du disque de l’académie Charles-Cros en 1969. Ensuite, j’ai édité douze disques sur l’histoire sonore de la Seconde Guerre mondiale. L’ensemble a obtenu lui aussi le même prix. Puis douze disques sur les discours du général De Gaulle, quatre disques sur la guerre d’Algérie, deux disques sur la guerre d’Indochine, deux disques sur la révolution irlandaise, deux disques sur le centenaire de Théodore Botrel, quatre disques avec Fresnay, toujours gracieusement de sa part, qui a enregistré les Contes du lundi.
Pour revenir aux documents sonores, j’ai évoqué beaucoup d’hommes politiques : Poujade, Mitterrand, Giscard, deux disques sur Léon Blum, préfacés par Guy Mollet. J’ai sorti aussi quatre disques commerciaux sur l’armée allemande. Ils ont dépassé chacun 100 000 exemplaires. J’ai édité ensuite quelques disques de musique militaire de très haute qualité. J’ai dû faire 120 disques en 20 ans…
— Jean-Marie Le Pen, grâce à votre excellente mémoire, vous laissez rarement passer une occasion de chanter le répertoire de chansons populaires. Que représente pour vous le fait de chanter, dans le monde technologique d’aujourd’hui ?
— C’est grâce à la chanson populaire française que survit un univers poétique dans notre pays, car la poésie a disparu depuis qu’à l’école on n’apprend plus les poètes, pas même La Fontaine. Les chansonniers et certains paroliers, comme Delanoé (1) par exemple, exprimaient une poésie populaire qui, par le vecteur de la musique, gagnait l’esprit de l’immense majorité de nos concitoyens. Et c’était une défense contre les attaques barbares que sont le rap et autres manifestations délirantes. Je dois vous dire, à ce propos, que je suis très hostile à l’art contemporain en général, même lorsqu’il est de facture musicale.
Je suis d’une famille, d’une époque, où l’on chantait. Les ouvriers chantaient sur les chantiers, on chantait sur les bateaux, et mon père et ma mère chantaient beaucoup. A tel point que je sais des chansons par tradition orale. J’ai une assez bonne mémoire jusqu’à présent, et donc j’ai un répertoire de chansons populaires considérable.
— Pourquoi la SERP n’a-t-elle pas soutenu le courant musical né avec l’émergence du FN, contribuant ainsi à sa marginalisation ?
— Ce n’était pas mon axe éditorial. Je ne travaille pas dans l’actualité musicale. Quand Alan Stivell me demande de l’éditer, je lui dis : « Garde-t’en bien, si jamais je t’édite, tu es mort. » Il en sera vexé et convaincu que je ne voulais pas de sa musique.
En 1968, la SERP est condamnée pour « apologie de crime de guerre et complicité » à cause d’un texte figurant dans la présentation du premier disque du coffret sur le IIIe Reich, Marches et chants de l’armée allemande. Le texte avait été rédigé par Serge Jeanneret, bientôt conseiller municipal RPR. La qualité sonore et historique du document est incontestable. En 1980, j’ai fait trois disques sur les Waffen SS qui n’ont jamais été poursuivis, le ridicule de la dernière condamnation a été dissuasif.
J’ai fait un disque sur 1936 avec la chorale de la CGT (Chants et musiques du Front populaire). Ce répertoire est très mauvais d’ailleurs, si l’on excepte Ma blonde entends-tu dans la ville ? qui est un chant d’origine soviétique très beau (2), le reste est pitoyable. J’ai édité un disque sur les chansons de la Commune et un disque sur les chansons anarchistes, tous avec les Quatre Barbus ; une histoire d’Israël en trois disques, qui fut louée par la critique, ce qui serait impensable aujourd’hui.
— Comment se fait-il que personne ne remette en cause l’hégémonie de la gauche sur la musique ?
— Ni sur le folklore, ni sur l’écologie, qui est pourtant un mouvement philosophique de droite puisqu’il est essentiellement contestataire de la base philosophique de la gauche qui est la « bénéficité » du progrès. Le progrès présente certains inconvénients qu’il faut dénoncer. Les premiers promoteurs de l’écologie sont le Dr Carton et le Dr Carrel. Ce sont eux qui ont opéré une remise en cause du dogme sacré du progrès, base philosophique de la gauche.
En Bretagne, alors qu’avant la guerre le folklore était presque exclusivement le domaine des autonomistes bretons comme Breizh Atao, après la guerre il a été entièrement anschlussé par la gauche.
Cette situation est la conséquence de l’espèce de contrat qui est intervenu à la Libération, où la droite a gardé les secteurs économiques et financiers, laissant à la gauche les problèmes d’éducation, intellectuels et autres. D’où la dictature qui continue de s’exercer, même si la gauche est devenue minoritaire dans l’opinion publique.
— La SERP ne travaillait pas dans l’actualité musicale, mais le Chœur Montjoie Saint-Denis a enregistré un certain nombre de titres jusqu’à la disparition de la société ?
— En fait, je n’ai pas travaillé avec le Chœur Montjoie, c’est Paul Robert qui a gravé les enregistrements du chœur. Le Chœur Montjoie a racheté les droits de la SERP en 2000, après le dépôt de bilan, pour reprendre ses titres. Cela dit, il chante des chansons de la Légion qui sont très belles, mais qui ne sont pas celles que j’ai pratiquées. Je dois dire que, lors d’une récente émission sur Radio Courtoisie, j’ai critiqué la façon de chanter des militaires français. Parce qu’ils croient que c’est allemand, ils élident les fins de mots, alors que c’est n’est pas l’usage allemand. Les marches françaises n’ont pas le tempo de la marche, à tel point qui, si vous chantez une chanson française, vous vous asphyxiez, alors que les chansons allemandes, dont on peut moquer le rythme lourdingue, sont adaptées au tempo de la marche.
— Quelle est votre chanson préférée ?
— C’est une chanson peu connue d’Edith Piaf, Le Chant du pirate.
— De vos disques de la SERP, quel celui qui vous laisse le meilleur souvenir ?
— Pour moi, celui qui est le plus émouvant est celui consacré aux Poèmes de Fresnes de Brasillach récités par Pierre Fresnay. Lors de l’enregistrement, quand les techniciens de Decca qui ne connaissaient pas ces textes entendent le Testament d’un condamné, ils pleurent. C’est un souvenir extraordinaire. J’ai pu faire entendre ce disque à la mère de Robert Brasillach, chez sa sœur et son beau-frère.
Entretien réalisé par Thierry Bouzard
• Extrait d’un entretien à paraître prochainement dans un ouvrage sur les chansons alternatives au politiquement correct, aux Editions des Cimes.
(1) Pierre Delanoé (1918-2006), chansonnier prolifique avec plus de 5 000 titres : Nathalie pour Gilbert Bécaud, Les Lacs du Connemara pour Sardou, Le Bal des Laze pour Polnareff…
(2) L’air est composé par Dimitri Chostakovitch.
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