Le chroniqueur du Figaro Magazine signe un nouvel essai plein de verve et d’audaces, Le Suicide français (chez Albin Michel), sur le déclin de notre pays depuis la mort du général de Gaulle. Portrait d’un esprit libre et frondeur, dont les idées séduisent de plus en plus de monde.
Il tire sur tout ce qui ne bouge pas. C’est sa façon de procéder. Cette fois-ci, Éric Zemmour s’attaque en 534 pages à un gros morceau: la France. «C’est son livre le plus transgressif», témoigne un éditorialiste. L’auteur en convient. Le Suicide français est le fruit de trois ans de travail. Il y dresse un constat accablant du déclin de notre pays depuis 1970. Sa démarche est originale. Le polémiste peut partir d’une chanson ou d’un film pour décortiquer les étapes majeures qui ont scandé ces dernières décennies. «Avec un os, il reconstitue un dinosaure», dit joliment son complice Eric Naulleau. Et d’ajouter dans un sourire: «C’est la marque des grands idéologues et des grands paranoïaques.»
Un «dinosaure», Eric Zemmour n’est pas loin de l’être. L’expression le ferait bondir. Depuis une dizaine d’années, il figure pourtant parmi les journalistes les plus écoutés. Son agenda ne désemplit pas, entre ses activités au Figaro Magazine, dans la matinale d’Yves Calvi sur RTL («On n’est pas forcément d’accord») ou sur Paris Première. Ses idées, elles, ont plus que jamais le vent en poupe. «Il a une vraie influence à droite, précise Eric Naulleau.Ses avis sont suivis avec attention par ceux qui voudraient capter l’électorat du Front national.»
«C’est un nationaliste républicain», note un historien. «C’est un homme de cour qui ne l’est pas», glisse un ancien ministre, pour souligner à la fois son influence et son indépendance. Comme Nicolas Sarkozy, il apprécie autant d’être aimé que détesté. Les stations et les chaînes se l’arrachent. Normal: il garantit l’audience. «i-Télé ne bat BFMTV que sur la tranche où officie Zemmour, dans “Ça se dispute”», confie un présentateur. Cela ne lui déplaît pas. Mais il ne s’attarde pas sur le sujet. L’Histoire le rattrape toujours. Il rappelle son attachement aux idées de Philippe Séguin. «Maastricht fut le dernier débat démocratique en France», lance-t-il. Eric Zemmour a le goût du passé sans être passéiste. Sa soif de convaincre demeure la même.
Il n’a d’ailleurs jamais caché ses idées. Quitte à déclencher des polémiques. Le problème de ses adversaires, c’est qu’il est parfaitement légitime dans ce qu’il avance. I
ssu d’une famille juive algérienne et élevé en région parisienne, il est le symbole de la méritocratie. L’école républicaine, il connaît! Un passé qui explique son positionnement et ses combats. Sa détestation de la médiocrité aussi… voire de la «médiocratie». De quoi s’attirer les foudres de nombreuses personnes. Citant Baudelaire, il évoque «le plaisir aristocratique de déplaire». C’est de moins en moins le cas. «Nous avons vécu une époque marquée par un grand déni de réalité, poursuit Eric Naulleau. Pendant très longtemps, les bataillons de gauche n’ont pas abordé le problème de l’immigration. Éric, lui, l’a fait. Nous sommes d’accord sur le constat… mais pas sur le reste.» D’autres résistent farouchement à la pensée «zemmourienne». «Il est trop enfermé dans ses certitudes et son intelligence, déclare son acolyte d’i-Télé, Nicolas Domenach. Il s’est éloigné d’une perception éclairée de la société. Il a une pensée originale. Ce n’est pas un hasard si nous l’avions jadis accueilli à Marianne. Mais il est aujourd’hui dans la facilité. Il cherche des boucs émissaires, comme l’Europe ou les étrangers. Cela permet de ne pas penser à ses propres erreurs.»«Dans Le Suicide français, j’analyse une époque que je n’aime pas», réplique Zemmour. Il aurait effectivement préféré vivre au XVIIe siècle. «C’est le siècle de la raison, celui qui met à distance les passions», précise-t-il.
«Il a la satisfaction d’avoir eu raison avant tout le monde»
Les «passions» dont il fut la victime n’ont guère plus cours. «Aujourd’hui, il est plus suivi que vilipendé, note encore Éric Naulleau. Il est plus dans la ligne, ce qui va être un problème pour lui. Avant, il prêchait dans le désert. Il fait partie maintenant d’un chœur. Il a la satisfaction d’avoir eu raison avant tout le monde, même si tout le monde ne dresse pas comme lui un tableau apocalyptique des choses.» «La société s’est radicalisée. C’est un mouvement qu’il a anticipé», confirme un journaliste. «Il avait auparavant autour de lui des défenseurs d’un certain âge, observe Nicolas Domenach.Désormais ce sont des jeunes.» Et le chroniqueur de poursuivre: «Il fait un job éminemment politique. Il veut la création d’une nouvelle droite puissante.» Sur son influence réelle, Éric Naulleau reste plus mesuré: «C’est un agitateur, pas un gourou. On ne peut pas parler de doctrine, même s’il a un vrai fan-club.» Un de ses détracteurs pointe du doigt les «mécanismes internes» qui le pousseraient à tenir des propos prétendument radicaux: «Selon lui, les Arabes lui ont volé l’Algérie et ils lui volent aujourd’hui la France.»
Un autre journaliste n’a pas gardé que des bons souvenirs de leurs face-à-face télévisuels: «Quand je le contredisais, je recevais des insultes par brassées. Dès qu’il ouvre la bouche, ses fidèles disent “amen”.»
En dépit de cette image sulfureuse, le président de RTL lui a fait confiance en lui offrant une tribune dans la matinale. Le clivant Zemmour sur la première radio de France? Cela a surpris, mais cela fonctionne. «C’est une personnalité iconoclaste, un esprit original qui brille aussi bien dans l’analyse politique que sur les questions sociétales, tout en ayant une profondeur historique. Il n’a remplacé personne et il n’est pas interchangeable», argumente Christopher Baldelli. Un ancien ministre le confirme: «Il est le seul sur son créneau, à la fois journaliste, essayiste, écrivain et polémiste. Je vous mets au défi de trouver une autre personnalité qui a ce bagage historique et cette connaissance du monde politique et économique actuel.»
«Ma vie c’est Balzac, Georges Marchais et les Verts de Saint-Étienne», résume drôlement Éric Zemmour, qui s’est retrouvé dans le journalisme presque par hasard. Il a alors une vingtaine d’années. Il vient d’échouer à l’ENA à l’oral. Le diplômé de Sciences-Po Paris, habitué aux tableaux d’honneur, est face à un jury présidé par René Rémond. On lui demande: «Combien de touristes français partent-ils en Espagne chaque année?» Le jeune Zemmour, plus incollable sur Saint-Simon que sur ce thème, répond laconiquement: «300.000.» La réponse exacte était «3 millions». Une question sur la Révolution suit. Il déroule. Mais c’est trop tard.
Il retente l’examen l’année suivante, mais échoue aux écrits. Il se tourne vers la publicité. Il s’y ennuie, mais son employeur détecte ses dons d’écriture. Par son intermédiaire, il entre en contact avec le patron du Quotidien de Paris, Philippe Tesson. «Le journalisme, c’était d’abord une opportunité pour lui», se rappelle un de ses confrères. «Dès qu’il est arrivé, je l’ai envoyé dans la galerie des Glaces aux trousses de Jack Lang, se souvient la critique de théâtre du Figaro, Armelle Héliot, qui l’avait pris sous son aile. Ensuite, il est beaucoup sorti. Il allait le soir au spectacle. C’était au temps où il connaissait la jeune juge d’instruction, Mylène, qui allait devenir sa femme, et ils sortaient ensemble, très contents. On avait de grandes conversations sur l’Italie, sur Stendhal, et l’on riait énormément toute la journée. J’avais des crampes aux abdos tous les jours.»Il est si doué et apprécié qu’il est intégré au service politique.
Il découvre de nouveaux maîtres en journalisme, comme le regretté Paul Guilbert, Dominique Jamet ou Stéphane Denis. Il est dans son élément. «Il était sympa, futé, malin et très enjôleur, ajoute Armelle Héliot.Il est resté fidèle à tout le monde. Dès qu’il le peut, il rend hommage à ceux qui lui ont mis le pied à l’étrier.»«Il avait déjà un côté un peu star, se remémore affectueusement un autre rédacteur.Je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu rédiger une brève.»
Ensuite, il fait un bref passage à L’Express. «J’en sais gré à Christine Ockrent. Nous ne pensions vraiment pas la même chose et elle m’avait pourtant recruté.» La suite est plus connue. Il rejoint Le Figaro. Dans ses colonnes, sa plume fait des étincelles. Dans ses bouquins aussi. Son Livre noir de la droite (chez Grasset et Fasquelle) est resté dans les mémoires. Il consacre à Jacques Chirac un autre livre épatant, L’homme qui ne s’aimait pas. Claude Chirac réclame sa tête. Elle ne l’obtiendra pas. D’autres essaieront. Il résistera toujours.
En 2006, il publie Le Premier Sexe (chez Denoël). «Je sors du journalisme politique et je rentre dans un monde de polémiques», se souvient-il. Ses ennemis crient à la misogynie. Il se défend bec et ongles.
Laurent Ruquier a ensuite l’idée géniale de l’associer à Éric Naulleau dans On n’est pas couché (France 2). Devenu une vedette du petit écran, il découvre un univers particulier. «Je comprends l’utilisation de la télévision dite de divertissement faite par la gauche depuis toujours pour endoctriner les masses,souligne-t-il. Je décide d’utiliser le système contre le système.» S’est-il senti grisé par le jeu médiatique? «Non, il prend les idées très au sérieux. Il ne fait pas de gesticulations», assure un de ses proches. Et la recette fonctionne. Sa profondeur séduit. Sa notoriété, elle, demeure intacte. Dans la rue, ce jour-là, un militant UMP l’accoste: «Monsieur Zemmour, je ne partage pas du tout vos idées mais j’aime vous entendre les défendre.» Difficile de lui faire un plus beau compliment.