On le plaint dès les premières pages, le pauvre abbé Bucquoy. Curé d’une petite paroisse de campagne, pris en tenaille entre un conflit des dames fleuristes de l’église, d’une équipe pastorale divisée, d’une responsable catéchiste diocésaine plus sociologue que théologienne, d’un évêque distant et des paroissiens aussi absents à la messe qu’omniprésents dans les polémiques. Et pourtant, il tient bon, le père Benjamin, du moins jusqu’à cet événement à la fois minime et terrible, la goutte d’eau faisant déborder les jarres de Cana, la huitième plaie d’Egypte qui rend les sept autres insurmontables.
Et c’est à la suite de cet évènement que le père Bucquoy, plantant là paroissiens, paroissiennes, grenouilles de bénitiers, araignées de sacristie, veaux, vaches, cochons, décide un bon matin de se faire la malle. Panique à la sacristie et dans l’évêché, délectation totale des médias. L’affaire prend une tournure à la fois internationale et paradoxalement intime pour les protagonistes, curé fugueur en tête.
On rit beaucoup et on réfléchit énormément, tel est le pari réussi de l’auteur.
Parce qu’on a beau se dire tout au long de la lecture, que les personnages sont gentiment caricaturés : entre Guillemette la bourgeoise parfaite, Brigitte, la fleuriste en quête de reconnaissance, Enguerrand, le militant internaute défenseur de sainte Gudule, Evelyne la sociologue, Monique la responsable liturgique aux goûts musicaux postconciliaires seventies, Mgr Vignon, l’évêque à la fois lucide, compréhensif et distant, Ildefonse et sa formation anti-gender… On s’aperçoit au fil des pages qu’ils incarnent finalement une part de nous-mêmes passée davantage à la loupe qu’au miroir déformant.
Un livre léger, sympathique à lire et qui fait du bien, parce qu’il nous rappelle avec humour et gravité ce qu’est, au fond, un curé : un homme. Un homme pour les autres, mais autant limité que les autres dans sa chair et dans son esprit.
Le lecteur suit donc avec plaisir les pérégrinations du père Benjamin, se demandant jusqu’où ce curé en quête de Dieu et de lui-même est capable d’aller. On va sans doute vous « spoiler » un peu : il ira jusqu’au bout de sa fuite, jusqu’à se retrouver. Gageons qu’après une telle lecture, on regardera avec plus de bienveillance son curé. On pensera peut-être à le remercier davantage et certainement à prier pour lui.
Monsieur le curé fait sa crise de Jean Mercier. Éditions Quasar, 2016. 176 pages, 12 euros.