Brunehaut, une reine du VIe siècle

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Dans la série des reines de France qui « ont régné sur le cœur et l’esprit de leur peuple », Anne Bernet publie la biographie de Brunehaut chez Pygmalion. A la charnière de l’histoire, du plaisir et du style, l’auteur ressuscite l’épouse du roi franc d’Austrasie Sigebert Ier, un des petits-fils de Clovis, célèbre pour sa lutte féroce contre sa belle-sœur, la reine Frédégonde de Neustrie, qui fut elle-même le sujet d’une précédente biographie en 2012. Derrière le destin cruel de cette reine de France décriée, sourd une empathie qui transparaît dans l’extrême finesse avec laquelle l’auteur dépeint le personnage sans jamais la juger. Anne Bernet nous donne une vision claire et convaincante du contexte historique et de la violence de ces vies, pour qui tuer un homme était la manière la plus simple d’éviter l’adversité – C.R.

 

— Dans l’histoire, Brunehaut, comme sa belle-sœur et ennemie Frédégonde, sont des personnages discrédités. Vous leur avez consacré à chacune une biographie. Quels sont les points communs et, a contrario, les différences entre ces deux femmes ?

— Ce qui est paradoxal dans l’histoire de ces reines ennemies, c’est qu’elles avaient tout pour s’entendre : veuves, décidées à conserver à n’importe quel prix la couronne à leur fils, confrontées à l’hostilité des hommes de leur entourage, elles auraient pu faire front commun et préférer ce qui les unissait à ce qui les séparait. Ce ne fut pas le cas.

Brunehaut était une authentique princesse wisigothe, même si sa dynastie était très récente, une épouse légitime en union royale monogame, et elle regardait avec mépris Frédégonde, paysanne gauloise, concubine de Chilpéric de Neustrie qui avait, à la longue, réussi à se faire épouser en troisièmes noces. Surtout, elle tenait, à tort, Frédégonde pour responsable de l’assassinat de sa sœur, Galswinthe, seconde épouse que Chilpéric avait fait périr pour n’avoir pas à lui remettre la compensation prodigieuse, toute l’Aquitaine, qu’il lui avait imprudemment promise s’il venait à la tromper… Ce drame familial a interdit à Brunehaut, plus rancunière en cette occasion que politique, toute réconciliation avec Frédégonde.

— Quel était le statut des reines mérovingiennes ?

— Elles n’en avaient pas. Mises sur le même plan que les concubines royales, elles aussi appelées reines, elles n’avaient d’utilité que de donner des héritiers au roi. Cependant, et cela leur valut souvent un destin tragique, elles détenaient symboliquement une part de la légitimité royale, ce qui les rendait dangereuses pour les successeurs de leur époux. Il fallait soit les épouser, soit les tuer, soit les cloîtrer pour éviter qu’elles déstabilisent le pouvoir. Le grand combat de Frédégonde et Brunehaut fut de s’imposer, d’abord comme conseillères occultes de leur mari, puis comme régentes de leurs fils ou petits-fils mineurs, espèce de révolution dans une société entièrement livrée à la domination masculine.

— Il fut reproché à Brunehaut d’avoir notamment parfois mal conseillé son époux et d’avoir détourné son petit-fils d’une alliance légitime pour conserver son pouvoir. N’était-elle qu’une intrigante avide de domination ?

— Oui, c’est assez probable. Que ce soit à travers son mari, ses enfants, ses petits-enfants, elle chercha à exercer la réalité du pouvoir, quitte à nuire gravement aux intérêts des siens. Sa seule passion fut de gouverner ; elle subordonna tout le reste à ce but.

— Brunehaut mena une politique territoriale différente de celle de la reine Clotilde, elle privilégia l’unité pour renforcer sa position et celle de sa descendance. A ce titre, peut-elle être considérée comme la première reine de France ?

— On l’a dit. Personnellement, je ne le pense pas. Outre que la première reine, stricto sensu, ce serait Clotilde, il faut se souvenir que Brunehaut régna sur une entité territoriale certes appelée Francia mais qui ne correspondait pas à la France. Ainsi ne régna-t-elle jamais sur l’Ouest, alors qu’elle dominait un empire s’étendant de la Vénétie au Danemark et des Pyrénées au Danube.

Sa vision politique ne fut nullement unificatrice ; elle passa, au contraire, son temps à ruiner l’œuvre d’unification dynastique, découpant le royaume au gré de ses besoins personnels. Enfin, si l’on considère que le rôle de la reine est d’aimer son pays et ses peuples, l’on renoncera définitivement à regarder Brunehaut comme une reine de France car elle fut toute sa vie prodigieusement indifférente aux intérêts d’une nation qui n’était pas la sienne.

 

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