Quarante ans qu’il met en relation stars, journalistes, politiques et même, parfois, voyous. Souvent dans l’ombre. Pour la première fois, cet informateur du Tout-Paris revient sur sa vie. S’il brandit toujours sa carte de presse, il a délaissé depuis longtemps l’appareil photo de ses débuts pour monter des coups, qu’il espère toujours juteux. Au risque d’enfreindre la loi. Dans moins d’un mois, il sera jugé pour escroquerie.
Dans quel sens prendre cette histoire ? Par quelle page débuter ? Marc Francelet a bien une petite idée. “Faut que vous commenciez comme ça : c’est l’homme qui a failli empêcher Sarkozy de devenir président.” Cigare aux lèvres, sourire rayonnant et regard vif, Marc Francelet est d’accord pour que l’on dresse son portrait, mais incapable de n’en être que le sujet. Si article il y a, il voudrait bien en être aussi un peu l’auteur. Un auteur brouillon, volubile, traversant les décennies et les milieux, mélangeant les genres et les gens.
Installé dans son somptueux appartement du 16e arrondissement, un Basquiat au mur, les John Lobb posées sur la table basse (“Berluti, c’est vulgaire”),Francelet peut parler, pêle-mêle, de son amitié avec Françoise Sagan, de ses déboires avec le juge Courroye, de ses rencontres avec Ariel Sharon, de ses nuits arrosées avec l’un des frères du gang Zemour, de ses aventures avec Johnny, de ses puits de pétrole avec Loïk Le Floch-Prigent, et de tous ses coups réalisés avec ses copains journalistes, les Franz-Olivier Giesbert, Guillaume Durand, Hervé Gattegno… Quand il se raconte, Francelet, débit mitraillette, timbre de tonton flingueur, est intarissable. Même la sonnerie frénétique de son téléphone portable ne l’arrête plus.
UN ENFANT DE “PARIS MATCH”
“Si je devais titrer mon portrait, je ne sais même pas ce que je mettrais”, s’amuse-t-il un jour. Une autre fois, il ajoute : “Si on faisait un film avec ma vie, je pense que les gens n’y croiraient pas, le scénario serait trop fou…” Dans ce vertigineux parcours, il y a pourtant bien un fil rouge : si dans sa vie, Francelet a tout fait, il se voit toujours en journaliste. Il égrène son numéro de carte de presse : “23 260, note-le bien, c’est important. 23 260.” Sa télé est en permanence allumée sur LCI et chaque matin, à l’aube, il épluche la presse, avant de se ruer à 13 heures au kiosque pour acheter Le Monde. “Y a que ça qui le fasse bander”, assure avec sa gouaille habituelle le paparazzi Pascal Rostain, un copain de toujours. “Marc, c’est un enfant de Paris Match, avance de son côté Guillaume Durand, l’ami de longue date. Il aime les infos, les people, les affaires, les stars, les faits divers… En fait, la ligne éditoriale de Paris Match, c’est la ligne éditoriale de sa vie.”
C’est donc par là qu’il faut démarrer son histoire. Paris Match. Premières photos, premières rencontres. Né en 1947 d’une coiffeuse et d’un architecte communiste, titi de Montparnasse, Marc Francelet se lance à 15 ans dans le photo-reportage et réussit vite un coup retentissant. Avant d’entamer son service militaire, Johnny Hallyday, son idole, passe son conseil de révision au fort de Vincennes. A la porte, ce jour-là, toute la presse est agglutinée, en quête d’une photo de l’événement. Appareil en bandoulière, Francelet se faufile et parvient à se faire passer pour un bidasse, le petit malin a enfilé un treillis. Il repère vite la salle de classe dans laquelle planche Johnny et escalade la façade de l’immeuble. “Je me suis mis à genoux au bord de la fenêtre, raconte-t-il, voix haute, débit passionné, j’ai tapé au carreau et Johnny m’a regardé. J’ai fait l’image. 35 mm, 2/2 d’ouverture, 400 ASA !” La photo fera la une de France-Soir, alors à son apogée.
Ce premier coup en appelle bien d’autres. Paris Match l’engage comme assistant photographe. Bientôt, l’hebdo star prépare un sujet sur l’Elysée. Le bâtiment est photographié sous toutes les coutures, mais De Gaulle, qui a toujours refusé d’être photographié dans son intimité, n’apparaît sur aucun des clichés. Le gamin y voit un défi. Il commence à rôder autour du palais présidentiel, et remarque que le bâtiment d’en face, l’hôtel particulier des Rothschild, est en cours de ravalement. Chaque jour, une quinzaine d’ouvriers s’y activent. Il va donc refaire le coup de Vincennes. Bleu de travail savamment sali de plâtre, appareil photo glissé dans une musette à casse-croûte, “comme Tintin”, il parvient, malgré les contrôles de sécurité, à se percher sur le toit de l’immeuble qui donne sur les jardins de l’Elysée. Quand De Gaulle apparaît, Francelet shoote. Double page dans Paris Match et remue-ménage à l’Elysée. Comment un gosse de 15 ans a-t-il pu déjouer la sécurité du général ? En pleine période OAS, l’épisode fait mauvais genre. L’Elysée fait savoir à Paris Match que Francelet a pris de gros risques et ferait mieux de reprendre ses études. Mais celui-ci a toujours été un élève “exécrable”. Il a d’autres plans en tête. Un mois plus tard, Francelet obtient sa première carte de presse, la fameuse numéro 23 260.