Que reste-t-il de Gaulois dans la langue française?

Par Toutatis ! Nos ancêtres les Gaulois nous ont légué un patrimoine linguistique. Des mots et expressions aussi courantes que surprenantes.

La langue gauloise n’éveille rien en France. Même Astérix et ses compagnons ne sont pas parvenus à secouer l’indifférence qui plombe cet idiome une indifférence d’autant plus profonde que le mot «gaulois» demeure attaché à l’idée de gaillardise et de propos égrillards: la gauloiserie. En vérité, cette langue issue de l’indo-européen, au même titre que le latin, s’est enfoncée autrefois dans l’oubli à mesure que la romanisation de la Gaule s’approfondissait, entre le Ier et le Ve siècle de notre ère.

Et puis, il ne reste aucun écrit substantiel en gaulois avec lequel nourrir notre curiosité qui vienne au renfort des inscriptions éparses, précieuses mais fragmentaires, gravées sur la pierre ou la terre cuite. Seules, les formes conservées dans les textes latins, et dans le latin médiéval lui-même, peuvent témoigner de la langue ancestrale, à côté des toponymes qui surnagent sur les rivières et les sommets. On doit également compter sur les langues proches parentes, qui se sont écrites et pratiquées plus longtemps, comme le gaélique de l’ancienne Irlande, le cornique, le gallois du pays de Galles, ou le breton d’Armorique.

Une «ruche» gauloise, irlandaise et bretonne

Beaucoup de mots français possèdent donc une racine gauloise, mais il faut gratter pour dégager le noyau de son enveloppe latine: c’est à quoi s’occupe Jean-Paul Savignac, érudit en langues mortes, traducteur de Pindare, qui vient de compiler le résultat de ses travaux sous la forme d’un dictionnaire accessible à tous, un livre très-excellent avec lequel il est réconfortant d’entamer une nouvelle année!

Prenons le cas de la ruche: elle est le prolongement du gaulois rusca, qui signifie «écorce». On retrouve rusca dans le vieil irlandais rùsc, ou le breton rusk de même sens. Cela parce qu’à l’époque gauloise, qui s’étend à peu près du Ve siècle avant J.-C. au Ve siècle après J.-C., «on faisait des ruches à l’aide de fines lamelles d’écorce tressées». Parbleu! à la manière des paniers d’écorce appelés sestes que l’on tresse encore ici et là…

Or, tandis que le miel, objet de convoitise et de négoce, passait tôt au latin mel, d’abord en milieu urbain, la rusca des familles conservait sa forme ventrue et son appellation propre au milieu des forêts où les paysans parlèrent gaulois aux abeilles après tout le monde. Même farine en occitan cette fois, où le lait, matière noble et nourrissante, s’est appelé lat, de lactem, alors que le petit-lait, résidu de la fabrication du fromage dans le secret de la souillarde, a continué à s’appeler meiz en gaulois jusqu’à aujourd’hui.

Un trésor sous nos pieds

Ce phénomène de décalage «socio-linguistique» s’est reproduit sous l’occupation normande en Angleterre pour les couples bestiaux-viande: le berger rustique parlait saxon et nommait sheep ses blancs moutons, alors que les aristocrates qui dégustaient la chair disaient galamment mutton. (Mais on ne saura pas comment la petite mère gauloise aux grosses tresses blondes appelait son miel avant de le vendre à ces fous de Gallo-Romains!)

Le livre de Jean-Paul Savignac, doté d’une introduction pertinente, montre à quel point la langue française, contrairement à ce qu’on pense généralement, s’est structurée sur un fond gaulois à qui elle doit peut-être une bonne part de son originalité. Et puis, on y fait des trouvailles illuminatoires: j’ai découvert pourquoi les cornes des vaches et des boeufs s’appellent bannos dans mon occitan limousin alors que carnon se disait déjà en gaulois. C’est parce que banna signifie «pointe», et que mes ancêtres facétieux usaient déjà de métaphores ils appelaient «pointes» ces excroissances dangereuses que portent si fièrement les bovidés. Il n’y a pas de petites joies!

L’auteur suggère aux Français «qu’il est bon de ne pas ignorer ce qu’on a sous les pieds. Ce peut être un trésor», dit-il. C’est bien mon avis. Obélix, nous voilà!

Dictionnaire français-gaulois de Jean-Paul Savignac, La Différence, 336 p.

 

Source

Related Articles