Le plus ancien canal d’Europe… toujours navigable fête cette année ses 350 ans. Trois siècles et demi de bons et loyaux services pour ce chef-d’œuvre dû au génie d’un homme, Pierre-Paul Riquet, et à la confiance d’un monarque, Louis XIV qui, en octobre 1666, signait « l’édit de construction pour le canal des mers Océane et Méditerranée », permettant ainsi de réaliser le vieux rêve d’Auguste d’éviter le détroit de Gibraltar et ses funestes Colonnes d’Hercule. Cet anniversaire ne se place cependant pas sous les meilleurs auspices pour le canal inscrit depuis 1996 au patrimoine mondial de l’UNESCO, cette dernière menaçant de lui retirer son label pour diverses négligences, notamment un manque d’entretien de ses berges.
Un anniversaire sous tension
Depuis plus de dix ans, l’UNESCO demande à l’Etat de mieux définir le statut de protection de cet ouvrage de 350 kilomètres de long et traversant quatre départements, afin de procéder au classement mondial de ses paysages. Après des années de louvoiement, une commission d’enquête publique enfin diligentée a rendu en septembre dernier un avis défavorable au préfet de l’ancienne Région Midi-Pyrénées, Pascal Mailhos, estimant que le classement intégral du site était impossible, vu les réticences de certains élus ruraux et leur refus de respecter les contraintes imposées par une telle mesure. Mais la création des nouvelles régions est passée par là… et le préfet Mailhos, devenu superpréfet de la nouvelle entité administrative, a sorti un nouveau lapin de son chapeau avec les préconisations du préfet de l’Aude partisan d’un classement du site. Il a donc annoncé que l’intégralité du canal du Midi serait inscrite au titre des monuments historiques avant l’été. Une mesure qui permettrait d’échapper à l’exécution des menaces brandies par l’UNESCO consistant à priver l’ancien canal royal du Languedoc de son précieux soutien.
Il est sûr qu’un tel classement, conforme aux souhaits de Mérimée en la matière, exige le respect de certaines règles et notamment la soumission à l’avis de l’architecte des Bâtiments de France pour toute construction. Une impérieuse nécessité cependant quand on se rappelle les affreux pavillons construits aux abords du village du Somail, les berges endommagées par des campements de nomades à proximité de Narbonne ou d’autres communes du département de l’Aude ou de l’Hérault, mais aussi les horribles zones commerciales qui poussent en périphérie des villes. Il est vrai que l’épidémie de chancre qui a décimé les platanes tricentenaires qui bordaient le canal et nécessité leur arrachage, a permis de faire apparaître ces différentes horreurs qui disparaissaient derrière l’ombre de ces précieux arbres.
Pilpouls de dames en perspective
Dans un souci d’apaisement, le préfet de Narbonne envisage la création d’un Groupement d’intérêt public regroupant l’Etat, la Région et les élus des départements concernés. Du côté de l’Etat, signalons qu’Emmanuelle Cosse et Audrey Azoulay sont parties prenantes dans l’affaire tandis que Carole Delga, la présidente socialiste de la nouvelle région Midi-Pyrénées-Languedoc aura son mot à dire. Une affaire de dames qui ne présage rien de bon pour la défense de ce monument majeur du Grand Siècle.
Un rêve devenu réalité
Ce canal des deux mers fut avant tout un rêve. Celui d’un homme qui lève l’impôt dans la ville de Béziers et rêve de relier l’Atlantique et la Méditerranée. Pierre-Paul Riquet, n’avait pourtant rien d’un ingénieur, il ne parlait même pas le latin ni le grec. Ce fermier général connaissait seulement parfaitement sa terre du Languedoc et avait une force de persuasion peu commune. Au point de convaincre Colbert de la pertinence de son projet après avoir fait construire une « rigole d’essai » de 70 kilomètres de long pour lui prouver qu’il était possible de collecter l’eau provenant des ruisseaux de la Montagne noire. Dans une lettre du 14 août 1665, le ministre l’assurait du soutien de Louis XIV en ces termes : « Ainsi, quand la rigole d’essai sera achevée, vous pourrez vous mettre en chemin pour venir ici, vous priant cependant de bien discuter tous les moyens que vous avez en main pour faire trouver au Roi celui d’y fournir en partie […] afin que nous puissions ici les proposer à Sa Majesté. » En octobre 1666, Louis XIV signait l’Edit royal qui permettait la construction du plus grand ouvrage de génie du monde à l’époque. Un ouvrage réalisé à la pelle et à la pioche par plus de 12 000 hommes et femmes et qui donnera l’idée, en 1752, à un jeune duc Anglais en visite dans le Languedoc, de construire, à son retour, le canal de Bridgewater permettant de transporter du charbon jusqu’à Manchester.
C’est à l’ingénieux Riquet que l’on doit aussi la création du port de Sète mais également le fameux tunnel de Malpas, qui, creusé sous une colline de tuf sablonneux, permet sans écluses de maintenir le même niveau au-dessus de la mer, sur plus de 54 kilomètres. Sans oublier les neuf écluses de Fonsérannes, proches de Béziers, sa ville natale. Autant de merveilles qu’il ne put admirer, Dieu l’ayant rappelé à lui, le 1er octobre 1680, avant la toute première mise en eau du canal.
Francoise Monestier – Présent