https://www.youtube.com/watch?v=dXx6X_jB3AA
« La fille qui tient 12 minutes et 28 secondes sur le pourquoi du comment elle a les aisselles teintes en bleu, rien que ça, ça vaut qu’on en parle ». Libération qui commence un article par cette phrase, rien que ça, ça vaut qu’on en parle. Le sujet de l’article ? Une nouvelle mode apparue sur Internet, qui veut que les jeunes femmes teignent les poils qu’elles ont laissé pousser sous leurs bras. Si l’on se promène sur Tumblr, Twitter ou autres sites un peu branchés, on découvre ainsi des aisselles bleues, roses, vertes ou violettes : « C’est joli, c’est tendance et ce serait même militant selon certaines », nous dit Libération.
Alors que la plupart des femmes qui ne vivent pas dans une grotte s’épilent les aisselles, des jeunes filles ont donc choisi de laisser pousser leurs poils, de les teindre, de se prendre en photo avec (un « aisselle-fie », hihi) et de s’afficher ainsi sur les réseaux sociaux. Dans les commentaires, ces demoiselles expriment la grande fierté qu’elles éprouvent à défier l’ordre établi : « Va te faire foutre la société. Va. Te. Faire. Foutre. » Ou encore : « Je défie les autres pour qu’ils repensent les standards de beauté ridicules et se libèrent des attentes de la société. »
C’est bien connu, la méchante société ne saurait en effet accepter que des jeunes filles disposent librement de leur pilosité, sous peine de lapidation ou au moins de tonte publique. Le mouvement de résistance est donc soutenu par de grandes rebelles devant l’éternel. Après Cameron Diaz, ce sont Madonna et Miley Cyrus – des militantes de l’ombre risquant chaque jour leur peau de pêche dans une lutte acharnée contre le patriarcat – qui ont lancé héroïquement le hashtag : #longhairdontcare (#poilslongsjmenfous).
L’élégante Miley Cyrus s’est d’ailleurs elle-même mise à la teinture sur poils. « Génie créatif, engagement féministe, art de la provocation ou simple folie ? » se demande Purebreak magazine, qui a dû en fumer de la bien pure. Heureusement qu’au XXIe siècle, le ridicule ne tue pas plus que l’épilation au laser.
Il faudra aussi qu’on m’explique en quoi imiter des stars du show-business est un acte militant. Comme toujours, on obéit à de nouvelles imprécations qui ne font que remplacer les anciennes. Foin de rébellion, c’est l’occasion de se gargariser à peu de frais et de s’offrir son quart d’heure de gloire sur smartphone.
Mais le paradoxe ultime de cette histoire, c’est qu’aujourd’hui les hommes, eux, sont encouragés… à s’épiler. Une publicité de Narta récente « illustre de façon amusante et décalée le sujet délicat de la repousse des poils », nous explique-t-on. Résumé : une danseuse est avec deux hommes et, au moment où elle s’apprête à se lancer dans les bras de l’un, elle aperçoit ses aisselles couvertes de poils figurés par deux petits singes. La fille, écœurée, se tourne alors vers l’autre, qui a les bras bien lisses.
Alors quoi ? La forêt bien propre et colorée des aisselles féministes cacherait-elle le rasoir masculin ? La société veut-elle la peau du poil mâle ? S’agirait-il d’un complot matriarcal ? Les hommes doivent-ils résister et afficher eux aussi leurs jolis poils bien taillés et colorés pour se défendre contre cette odieuse injustice ?
Ce n’est peut-être pas la peine… Car il existe une explication beaucoup plus simple : la mode de la barbe a mis les producteurs de rasoirs en faillite, et si les femmes se mettent elles aussi à se laisser pousser les poils sous les bras, il faudra bien que Gillette vende des rasoirs à quelqu’un. Le phénomène est bien connu en économie : un marché en remplace un autre. Du coup, en l’espèce, on aboutit à une redistribution arithmétique des poils.
Pour appuyer sa stratégie de vente, Gillette (« La perfection au masculin ») a même commandé une étude prouvant que l’épilation diminue les odeurs corporelles de 57% (intéressant, ça, le calcul des odeurs corporelles en pourcentage…). Résultat : Pendant que les femmes luttent pour leur liberté d’expression pileuse, ce sont les hommes qui sont sommés de couper ce qu’elles laissent pousser. Le capital est parfois subtil.