Comment la pub vous manipule!

Les publicités sont partout, à tel point que nous n’y faisons plus attention. Mais même lorsque nous ne les percevons pas consciemment, elles agissent sur nos choix et comportements.Comment le cerveau traite-t-il les publicités qui l’assaillent ? Il ne peut pas les traiter toutes consciemment, mais leurs empreintes inconscientes sont efficaces !

– Une grande partie des publicités auxquelles nous sommes exposés, notamment sur Internet, n’est pas perçue consciemment. Elle a pourtant un impact.

– Des expériences ont montré que des bannières publicitaires diffusées hors du champ visuel conscient poussent à acheter davantage, des jours, voire des mois après.

– Les effets non conscients de la publicité permettent aussi de renforcer, parfois pendant des mois, l’association que fait le consommateur entre une marque et un type de produit.

Nous vivons environnés de publicités, dans les rues, à la télévision et de plus en plus sur Internet. Bannières publicitaires en haut de la page, fenêtres qui s’ouvrent automatiquement sur l’écran, vidéos qui se mettent en route toutes seules… On estime aujourd’hui que plus de 10 000 marques entrent dans notre champ visuel chaque jour, notamment suite à des publicités. C’est au cours des cinq heures que nous passons, en moyenne, chaque jour devant les écrans d’Internet et de télévision qu’une bonne partie de ces publicités nous est proposée, ou plutôt imposée. Évidemment nous ne prêtons pas attention à tous ces messages, mais de récentes recherches montrent que les publicités qu’on ne regarde pas – ou à peine – et qu’on oublie aussitôt exercent des effets non conscients qui favorisent l’achat de ces marques.

Face à l’abondance des messages publicitaires qui en général ne l’intéressent pas, l’internaute, occupé par sa tâche sur l’écran, met en œuvre des stratégies de perception et de traitements sélectifs qui le conduisent soit à ne pas regarder la publicité, soit à lui accorder une attention très faible.

Même lorsque nous ne regardons pas les bannières publicitaires qui apparaissent sur l’écran, elles entrent dans notre champ visuel sans que nous en soyons conscients ou capables d’identifier le signataire du message. Laissent-elles malgré tout des traces en mémoire ? Si c’est le cas, quelle est la nature de ces traces ? Et surtout, influencent-elles nos intentions d’achats ?

Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une première expérience où des sujets devaient lire des textes sur un site Web pendant que des bannières publicitaires constituées de marques inédites (les bannières expérimentales) apparaissaient en haut de l’écran dans la zone périphérique de leur champ visuel. Pour être certains que les publicités apparaissaient dans la région périphérique, nous suivions les saccades oculaires en temps réel en utilisant une caméra qui enregistrait les mouvements des yeux (système d’eye tracking) et les transmettait à un ordinateur. Aussitôt que le sujet cessait de lire et que ses yeux s’orientaient vers la bannière publicitaire expérimentale, le système informatisé la faisait instantanément disparaître et la remplaçait par une bannière non pertinente (dont les effets n’étaient pas testés). Cette méthode garantissait que les bannières expérimentales, dont on cherchait à mesurer l’effet sur les internautes, étaient perçues en vision périphérique et non dans le champ central, là où se focalise l’attention. Les informations perçues en vision périphérique sont généralement traitées sur un mode non conscient : le cerveau peut les percevoir et peut en mémoriser certains aspects sans que le sujet s’en rende compte. Les bannières apparaissaient à une distance suffisamment éloignée du point de fixation pour que le sujet soit incapable de les reconnaître et dise ne les avoir jamais vues auparavant quand on lui présentait les marques quelques minutes après l’expérience.

Ce type de situation est fréquent dans la vie quotidienne : dans la rue ou dans une boutique, face à notre télévision ou notre écran d’ordinateur, nous percevons de multiples informations ou éléments publicitaires en mode périphérique, mais ils n’en exercent pas moins une influence. Il est donc important de l’évaluer. Dans la situation expérimentale que nous avons mise en place, si des éléments figurant sur la bannière sont traités par le système cognitif des internautes, on peut dire, sans trop de risques de se tromper, que c’est sur un mode non conscient.

Pénétrer « sous la conscience »

Voilà donc comment s’est déroulée l’expérience. Nous avons demandé à des sujets de lire des textes sur Internet pendant que des bannières apparaissaient dans leur champ visuel périphérique. Ensuite, nous avons mesuré les effets de ces stimulations non conscientes dans deux conditions : d’abord 15 minutes plus tard pour une partie des 247 sujets testés, puis une semaine plus tard pour l’autre partie.

Les résultats ont montré la présence d’effets non conscients favorables aux marques figurant sur les bannières expérimentales. Ces effets étaient d’autant plus prononcés que les publicités étaient répétées : quand nous les présentions 15 fois, les sujets les aimaient davantage et exprimaient plus leur intention d’acheter les produits correspondants que s’ils y étaient exposés cinq fois seulement. Les publicités répétées 15 fois laissaient des traces en mémoire 15 minutes après l’exposition et une partie de ces traces était même encore présente une semaine après l’exposition.

Nos observations viennent s’ajouter à des recherches passées ayant montré que la perception non consciente de publicités peut activer automatiquement des réseaux de représentations et d’affects liés à des marques déjà existantes en mémoire. Par exemple, chez une personne voyant de façon non consciente une publicité pour une marque de soda, des représentations mentales liées aux boissons gazeuses s’activent automatiquement.

De tels processus automatiques sont des activités non conscientes, qui ne consomment pas d’attention et sont inaccessibles à l’expérience subjective. Ils sont involontaires, rapides et irrépressibles (quand ils sont déclenchés, il n’est guère possible de les modifier). Dans le cadre de la perception non consciente, si ces activations automatiques sont répétées, elles auraient notamment pour conséquences de mieux faire apprécier une marque et d’augmenter la probabilité que cette dernière soit ensuite choisie parmi ses concurrentes.

Sentiment de familiarité

Que se passe-t-il lorsque nous sommes ainsi exposés à ce type de publicités ? Prenons l’exemple d’une nouvelle marque, encore inconnue, et dont la publicité apparaît à plusieurs reprises dans le champ visuel périphérique. Selon les psychologues, si le sujet a plusieurs contacts sensoriels avec le logotype de la marque, sa forme (son dessin ou sa représentation) est stockée en mémoire sans qu’il en ait conscience. Ensuite, dans un deuxième temps, lorsque le sujet est à nouveau en contact avec la marque (par exemple, lorsqu’il se trouve en situation d’achat), le logo stocké en mémoire est alors automatiquement activé sans qu’il en ait conscience. Comme la trace en mémoire est constituée, le système perceptif infraconscient du sujet traite la marque en magasin beaucoup plus rapidement. On parle d’effet de fluidité perceptive : la perception est rendue plus rapide et plus naturelle par le fait qu’il existe déjà une représentation mentale sous-jacente de la forme ou du dessin du logo. La fluidité perceptive entraînerait une sensation de familiarité avec la marque.

Le psychologue George Mandler, de l’Université de Californie, a été l’un des premiers à expliquer le processus sous-jacent : au moment où le consommateur se forge son opinion sur une marque et décide d’acheter ou non le produit, il ferait ce que l’on nomme une erreur d’attribution. Il croirait que son attirance pour la marque, en réalité provoquée par la fluidité perceptive, serait due à certaines des caractéristiques «objectives» de la marque (par exemple, elle est de bonne qualité, le produit doit être solide, etc.). Par le jeu de tels mécanismes cognitifs, les consommateurs émettent des jugements et décident d’acheter le produit uniquement en raison de la facilité qu’ils ont à traiter l’information lorsqu’ils sont en contact avec la marque.

Des effets persistants

Un autre type d’influence non consciente concerne les cas où la publicité est à peine entrevue et aussitôt oubliée. Quand le sujet a une certaine conscience de voir la publicité, il en garde pendant plusieurs mois une trace en mémoire, laquelle est ensuite utilisée par le système cognitif pour former des jugements souvent favorables à la marque. Ce type d’influence est notamment à l’œuvre pour les publicités de type pop-up sur Internet. Pour le montrer, nous avons mis en œuvre la procédure expérimentale suivante. Pendant que des sujets surfaient sur Internet, trois pop-ups pour une nouvelle marque apparaissaient pendant trois secondes, et ce à quatre reprises. Le premier pop-up contenait uniquement le logo de la marque. Le deuxième comportait en plus une image du produit commercialisé. Le troisième présentait, en plus du logo, le nom du produit en toutes lettres. Les effets de ces courtes expositions publicitaires ont été mesurés pour une partie des sujets sept jours après, et pour les autres trois mois après. Aucun des 400 sujets testés ne s’est souvenu qu’il avait déjà vu la marque ou ses publicités. Pour savoir quelle trace non consciente avaient laissée les pop-ups, nous avons mesuré, au millième de seconde près, le temps que les personnes mettent pour donner leur avis sur la marque.

Conditionnés par des logos

Lorsque le pop-up présente le logo de la marque avec une image du produit commercialisé, nous avons constaté que les intentions d’achat augmentent et que les sujets apprécient davantage la marque. En revanche, quand le pop-up contient le logo accompagné du nom du produit écrit en toutes lettres, le sujet mémorise mieux le lien entre le nom de la marque et le produit commercialisé. Les images et les mots dans les publicités sur Internet agiraient donc différemment : les images auraient des effets affectifs et inciteraient davantage à l’achat, et les mots auraient des effets sémantiques plus forts, notamment dans la construction de l’image de marque.

Nous pensons que la projection rapide de mots déclencherait une lecture automatique et irrépressible, plus ou moins consciente, conduisant à associer la marque et le secteur de produits en mémoire (par exemple, la marque Lomis commercialise des eaux minérales). Après une exposition répétée à l’association entre un logo de marque et un nom de produit, il se crée des réseaux sémantiques renforçant les liens entre les deux stimulus en mémoire. Dans notre esprit, au niveau non conscient, se forme un lien entre la marque et le type de produit qu’elle commercialise. Par la suite, un contact sensoriel avec le produit en question (ici le rayon des eaux minérales) active plus facilement la représentation sémantique de la marque.

Le temps que les sujets mettent à reconnaître une marque mesure l’accessibilité de cette marque à leur esprit. Lorsqu’un client arrive dans un rayon particulier, le fait de penser à une marque donnée une demi-seconde avant les autres peut emporter sa décision d’achat.

Si les mots déclenchent ce que l’on nomme de la fluidité conceptuelle (familiarité du concept associé au mot), ce n’est pas le cas des images. Une image est traitée plus globalement qu’un mot, et parce qu’elle ne fait pas l’objet d’une traduction en paroles dans la tête du spectateur, elle suscite moins de fluidité conceptuelle que des mots. Par ailleurs, il est probable qu’en associant une image à une marque, la publicité développe surtout la fluidité perceptive : voir une bouteille d’eau de la marque Lomis dans un magasin entraîne une perception plus aisée, ainsi qu’un sentiment de fluidité perceptive et de familiarité. Dans notre expérience, les personnes exposées à des pop-ups mêlant images et logos de marques ont davantage apprécié la marque, l’ont trouvée de meilleure qualité et ont eu davantage l’intention de l’acheter. Et ce, trois mois après la phase d’exposition.

Programmés pour acheter

Les effets non conscients des publicités opèrent à la fois sur la fluidité perceptive et sur la fluidité conceptuelle. La fluidité conceptuelle active automatiquement des éléments sémantiques associés en mémoire à la marque. Ainsi, quand on entre dans le rayon des boissons dans un supermarché, cela pré-activerait – on dit aussi amorcerait – la marque de boisson la plus accessible en mémoire, même si on ne l’a pas encore vue. Quand on l’aperçoit dans le rayon, elle serait choisie, parce qu’elle est plus familière.

La fluidité perceptive influe surtout sur les jugements et le processus de décision au moment du choix, par exemple, dans le rayon du supermarché. La fluidité conceptuelle exerce en plus ses effets quand le consommateur fait son choix sans avoir la marque sous les yeux. Selon la théorie de la mémoire d’Endel Tulving, les traitements perceptifs sont opérés à un niveau plus superficiel que les traitements conceptuels. Ainsi, pour une marque donnée, la fluidité perceptive n’est pas nécessairement accompagnée de fluidité conceptuelle. Cependant, quand il y a fluidité conceptuelle, il y a également fluidité perceptive. Les fluidités perceptives et conceptuelles, qui s’élaborent lors de l’exposition aux messages publicitaires, façonnent l’attitude du consommateur à l’égard d’une marque et son éventuelle intention d’achat.

Plus généralement, l’influence non consciente qu’exerce la publicité nous pousse à nous interroger sur le type de société dans lequel nous souhaitons vivre. La question est d’autant plus sérieuse que certains effets non conscients semblent plus forts que les effets conscients. Quel peut être le rôle des chercheurs dans ce contexte ?

Mieux comprendre pour mieux résister

Dans notre pratique quotidienne, en tant que chercheurs, nous nous attachons prioritairement à mettre en évidence les processus à l’œuvre dans la réception de la publicité. Mais au-delà, il s’agit de transmettre aux consommateurs les clés du mode d’action de la publicité, partant du principe que, dans une démocratie, chacun a le droit de savoir si on cherche à l’influencer et comment.

Lorsqu’une personne connaît l’ensemble des techniques d’influence non consciente, elle peut chercher à en atténuer les impacts. Si elle estime qu’elle a été influencée à son insu pour acheter telle ou telle marque, elle peut corriger son choix initial en se focalisant sur une réflexion rationnelle prenant en compte la qualité, le prix, la durabilité, les conditions de production, etc. Notons que dans certaines situations, une personne peut corriger de manière excessive son jugement initial, au point d’adopter l’attitude opposée. C’est l’effet de contraste mis notamment en évidence par Joan Meyers-Levy de l’Université de Chicago : ce psychologue a montré que si un consommateur sait qu’il apprécie une nouvelle marque uniquement parce qu’il se souvient avoir été dans un état émotionnel positif lorsqu’il l’a vue pour la première fois à la télévision, il peut volontairement inverser son jugement et évaluer négativement la marque !

Plus généralement, ces effets de correction font partie de la famille plus large des « effets de réactance » qui s’observent lorsqu’une personne tente de récupérer une plus grande liberté de décision si elle prend conscience qu’elle a été manipulée. À l’avenir, si chacun prend conscience du pouvoir qu’exerce la publicité sur nos comportements d’achat, les techniques publicitaires qui visent à contourner nos critères rationnels de jugement pourraient connaître un retour de bâton.

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