Tribune libre de Gérard Dussillol*
Avec près de 50% du PIB de la zone euro, la France et l’Allemagne en forment la clé de voûte : si l’un des deux pays faiblit, tout l’édifice est menacé. Or, si l’Allemagne peut encaisser le choc actuel et assumer sa part de responsabilité dans ses plans de sauvetage, elle n’a pas la capacité de porter l’Europe seule. Son partenaire doit être solide… et il ne l’est pas.
La dépense publique française est la plus élevée au monde, avec 56% du PIB soit 10.5 points de plus qu’en Allemagne. Or plus l’État français dépense, plus il pénalise ses entreprises : leurs prélèvements obligatoires sont supérieurs de 150 milliards à ceux de leurs concurrentes allemandes (+7 points de PIB 2009). D’où une chute des profits industriels (-25% depuis 2000) et une recherche privée deux fois moindre. D’où une dégradation de la compétitivité entrainant celle du commerce extérieur, laquelle a fait perdre 20% de croissance chaque année à la France depuis 1998. D’où enfin un surcroît de chômage, en moyenne de 40% supérieur à la moyenne des pays développés dans les 10 années ayant précédé la crise, et de 70% supérieur à l’Allemagne actuellement. Ce sur-chômage signifie moins de recettes pour l’État et plus de dépenses de protection sociale, donc encore plus d’impôts. C’est un cercle vicieux dans lequel la France s’enfonce depuis des années.
L’Institut Thomas More a comparé les services publics français à ceux de l’Allemagne. Ce travail a permis d’identifier plus de 100 milliards (5 points de PIB) d’économies potentielles dans le coût de fonctionnement de notre appareil d’État : il s’agit là de réductions d’inefficiences et de gains de productivité, et non de baisses des prestations offertes par le généreux modèle social français. Ainsi, c’est la sous-compétitivité de l’appareil d’État français qui engendre celle de son industrie par la courroie de transmission de la fiscalité : à charges sur salaires égales à celles de l’Allemagne, le coût du travail baisserait de 20% en France.
Mais les Français se refusent toujours à le reconnaitre et en tirer les conséquences. Le dernier plan de restauration des équilibres publics transmis à Bruxelles par la mandature précédente en avril, faisait apparaître une augmentation des prélèvements obligatoires de +3,3 points en 2016 par rapport à 2010, avec une faible baisse des dépenses de fonctionnement de l’appareil d’État (-1,6 point). Depuis il y a eu les élections… et la Cour des Comptes vient d’annoncer un besoin supplémentaire dès 2013, de 1,6 point de PIB pour satisfaire les promesses électorales tout en respectant nos engagements européens dans un scenario macroéconomique plus restrictif. Si l’on en finance la moitié par la fiscalité, comme elle le suggère, cela porterait son augmentation à +4,1 points de PIB, creusant encore un écart avec l’Allemagne de déjà 6,2 points en 2010…
Il n’y a donc aucune perspective d’une restauration de la compétitivité industrielle française par un allègement fiscal. Bien au contraire, la dégradation risque de se poursuivre. Donc la croissance française ne pourra venir ni du commerce extérieur, ni de la consommation intérieure avec un pouvoir d’achat pénalisé par de telles hausses d’impôts, ni bien sûr d’une « relance » keynésienne. Cela signifie une croissance au mieux atone, donc une difficulté de plus en plus grande à respecter nos engagements, donc un risque majeur pour l’euro et l’Europe : tel un domino, la France peut faire basculer le système entier.
Entre 1945 et 2000, nous avons chaque décennie, dévalué en moyenne le franc d’un tiers par rapport au mark pour rétablir une compétitivité érodée par une inflation issue de nos excès de dépenses. Pourtant, dans tout le processus de construction monétaire européen, nous nous sommes persuadés que nous pourrions changer et évoluer vers le système allemand, sachant bien qu’une union monétaire n’est pas viable si les modèles économiques de ses deux piliers divergent structurellement. C’était l’esprit des règles de Maastricht. En fait, nous avons poursuivi les mêmes politiques par d’autres moyens : le serpent monétaire puis l’euro nous interdisaient l’inflation mais nous permettaient de nous endetter sans restriction à très bon marché.
L’Allemagne aujourd’hui veut colmater les failles de l’ancien système par un nouveau traité et elle a raison. Mais on ne peut plus se satisfaire d’une approche strictement juridique ou comptable : les meilleures règlementations du monde ne peuvent se substituer à la volonté des parties. Celle-ci n’y est toujours pas de notre coté : deux traditions, deux histoires, deux cultures, demeurent face à face, mais si nous ne changeons pas, le système n’est plus viable.
Si à l’inverse la France revenait vers ses partenaires en s’engageant à restaurer vraiment son économie par une baisse significative de ses dépenses, elle se remettrait sur une pente de croissance plus forte, crédibilisant ainsi la nécessaire intégration européenne et les plans de sauvetage de l’euro, et permettant de restaurer la confiance sur les marchés. Cette visibilité retrouvée signifierait l’amorce, enfin, d’une dynamique vertueuse.
En plus, cela conforterait sa position de négociation notamment sur l’élargissement de la mission de la BCE à la croissance, afin redonner de l’oxygène monétaire à l’Union. D’autant que si nous faisons ce grand pas pour faire converger notre économie vers le modèle allemand, l’Allemagne devrait se sentir beaucoup plus sereine pour assouplir ses positions. La clef de l’avenir européen est sans doute en France, à son initiative ou sous la pression de ses créanciers, voire de ses partenaires.
*Gérard Dussillol est titulaire d’un Master en Économie de l’Université de Paris-Dauphine et diplômé de l’ESSEC. Il a fait toute sa carrière dans le monde de la finance, en France et à l’international. D’abord chez Paribas (fonds de private equity et immobilier aux États-Unis et en France) et puis créé sa propre société financière revendue ensuite à des investisseurs américains, puis au sein du groupe Goldman Sachs, il a créé et dirigé la plateforme européenne de la Caisse de dépôt et placement du Québec, l’un des plus importants fonds de pension nord-américains. Il est aujourd’hui conseil de plusieurs fonds et sociétés d’investissement. Il est également Président de la Commission finances publique de l’Institut Thomas More, auteur de La crise, enfin ! (éditions Xenia)
Le site de l’Institut Thomas More.
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