Comme disait Talleyrand, quand je me contemple, je me désole, quand je me compare, je me console. Sur l’échelle infinie de la nouvelle pudibonderie, corseté et boutonné plus haut que le Français, avec toujours une foulée d’avance, il y a l’Américain. Après Scarlett O’Hara, voici que l’on déboulonne… Laura Ingalls. Popularisée par l’interminable série qui, en France, a longtemps tourné en boucle à la télé, étiquetée neutre et sirupeuse (j’ai, moi-même, une affection particulière pour l’épisode Noël à Plum Creek, qui a bercé mon enfance), La Petite Maison dans la prairiesemblait au-dessus de tout soupçon. Pourtant, c’est fait, elle a dérapé, comme la petite fille de son célèbre générique, dans les hautes herbes du politiquement correct.
« Les propos racistes de la vraie Laura Ingalls Wilder », tel est le titre de l’article paru sur le site Slate, avec ce chapô implacable : « Aucun prix littéraire ne portera plus son nom. »
Punie, au coin, la petite pionnière américaine, avec ses bottines à bouton émergeant de ses larges jupons et ses deux nattes dansant dans le dos.
« L’American Library Association vient de se prononcer en faveur du retrait du nom de Laura Ingalls Wilder d’un prix littéraire pour enfant. Les membres du conseil ont jugé que ses livres contenaient des propos racistes envers les Afro-Américaines et les Amérindiens et Amérindiennes. » Dans les premières pages, Laura écrit qu’elle « désire vivre où les animaux sauvages vivent sans peur, où le sol est plat, où il n’y a pas d’arbres et où il n’y a pas d’autres humains mais seulement des Amérindiens », ce qui sous-entendrait, pour elle, un distinguo entre les deux… ou bien qu’elle a fait une erreur de syntaxe, comme on en trouve souvent dans les rédactions ? Et ne dit-elle pas qu’elle désire vivre avec eux ? Peu importe, les indignés se lèvent, outrés. Comment a-t-on pu, durant tant d’années, ne rien relever ?
Par ailleurs, sa mère Caroline Ingalls n’aurait pas eu une attitude très amène envers les Amérindiens, tandis que son père Charles Ingalls – pourtant gentil jusqu’à susciter l’agacement dans l’adaptation télévisée -, musicien à ses heures, se serait adonné au divertissement du « blackface » (grimage en Noir) dont chacun sait – aujourd’hui – que c’est très mal. En quoi est-ce tellement plus insultant que de se grimer en petit marquis blafard à mouche et perruque poudrée, comme on le fait dans un certain nombre de bal masqués, y compris au château de Versailles ? L’autre CRAN, Conseil représentatif des associations nobiliaires, ne s’est toujours pas porté civile, peut-être parce qu’il n’existe pas. Mais poser la question, c’est déjà suspect.
Tout a été dit, dans ces colonnes, sur cette épuration post mortemconsistant à frapper sa coulpe sur la poitrine de ses aïeuls. On peut cependant s’interroger sur l’avenir des prix littéraires et des romans pour enfants : les frères Goncourt ont fait montre, en leur temps, d’un antisémitisme inqualifiable – « Des entrailles de la mère, la juive avait jailli. Et la persévérance froide, l’entêtement résolu, la rapacité originelle de sa race, s’étaient levés des semences de son sang… » (Manette Salomon ) – doublé d’un misogynie éhontée : « Les femmes empêchent de causer : elles font plus de bruit que les idées » (Journal). Ils me semble que ceux qui ont été couronnés par leur prix devraient, à titre expiatoire, faire don de leurs droits d’auteur, avec les intérêts, à la LICRA. Quant à la comtesse de Ségur et ses célèbres soufflets (non pas au fromage mais sur les joues des enfants désobéissants) ou à Béatrix Potter dont le Mister Rabbit finit en tourte dans l’assiette de Madame McGregor (âmes vegan sensibles s’abstenir), elles feront rapidement, à ce train-là, l’objet d’un autodafé. Oui-Oui et le père Castor eux-mêmes commencent à stresser.
Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire