Il est très difficile de se résoudre à rédiger la nécrologie d’un auteur au cheminement intellectuel aussi riche que complexe, qu’on pourrait résumer en un préfixe : méta. Métaphysique, métatextuel, métapolitique. Maurice G. Dantec était un grand de la littérature française contemporaine, lucide sur son compte, généreux avec ses lecteurs. Aux côtés de Roland C. Wagner, il a donné ses lettres de noblesse à un genre souvent méprisé sous nos latitudes : la science-fiction.
Écorché vif, l’homme l’était indubitablement. La pensée profonde de Maurice G. Dantec, pourtant si cohérente, se cachait derrière une esthétique baroque mêlant le post-punk et un catholicisme assumé. Vrai moderne en lutte contre la postmodernité, il n’avait rien d’un rebellocrate et tout d’un authentique dissident. N’hésitant jamais à affirmer haut et fort sa vérité, Maurice G. Dantec ne se réfugiait pas derrière les circonvolutions polies de ses contemporains. On pourrait, d’ailleurs, lui attribuer une citation d’un de ses maîtres, Léon Bloy : « J’ai l’air de parler à la foule pour l’amuser. En réalité, je parle à quelques âmes d’exception qui distinguent ma pensée et l’aperçoivent sous le voile. »
Le Théâtre des opérations, suite de journaux polémiques et métaphysiques, constitue un impressionnant examen critique de l’Occident contemporain. Auto-radio mentale – au sens propre comme au sens figuré – d’un esprit du temps farouchement original, exilé en une Amérique du Nord vécue comme un refuge, ce journal intime exprime crûment des interrogations, jusqu’alors confinées à des cercles privés, ou peu médiatisés.
D’aucuns lui reprocheront un atlantisme, parfois peut-être un peu naïf, mais comment nier la lucidité de ses analyses sur ce que pouvait préfigurer le conflit yougoslave, sur le retour de l’islam de combat dans le chaos du monde actuel ou sur la société des loisirs ? Il n’est qu’à relire ce qu’il écrivait dans son chef-d’œuvre, Les Racines du mal, pour saisir que, sous l’apparente provocation, perçait une sensibilité d’écrivain traumatisé par l’expérience concrète du mal en ce monde : « L’apparition des meurtriers en série est en effet inséparable de la naissance de la civilisation des “loisirs”. Et ce, pour une raison bien simple : il faut du temps pour tuer. Et surtout il ne faut rien avoir de mieux à faire. »
Littérateur de l’ère nucléaire, Maurice G. Dantec s’éteint avant le premier pas de l’homme sur Mars. Il croyait l’homme destiné à s’étendre à travers l’espace, nourri par les songes futuristes de Philip K. Dick, Isaac Asimov et du trop méconnu Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, créateur de L’Ève future. Nulle contradiction chez Dantec, qui assumait sa croyance en la science-fiction et Duns Scot ; Prométhée et Jésus ; Nietzsche et Deleuze ; Bowie et les chants grégoriens.
David Bowie, tant aimé de Dantec, est lui aussi décédé en cette année 2016. Une part du XXe siècle s’en est allée, annonçant avec elle un futur plus incertain que jamais. D’une station à une autre, nous en sommes les légataires. À tout le moins, nous devons leur témoigner notre profond respect pour avoir contribué au réveil intellectuel de toute une génération.