En 1991, Michel Houellebecq publiait, aux Éditions de la Différence, un court essai intitulé Rester vivant, sorte de manuel de survie à l’usage des solitaires, introvertis et dépressifs en tous genres, victimes collatérales de la postmodernité, comme des rapports humains en règle générale. Il s’agissait, pour l’auteur, de livrer quelques conseils tirés de sa propre expérience, répartis en de courts paragraphes que le lecteur pouvait lire d’une traite ou de façon hachée, à son rythme.
Houellebecq y développait l’idée que les individus en souffrance, les inadaptés, plutôt que de se plier à l’impératif bien connu selon lequel il faut « se mettre un coup de pied au derrière et se ressaisir » – injonction totalitaire par excellence qui fleure bon l’intégrisme du lâcher-prise et aggrave le mal-être dans 90 % des cas –, devaient au contraire s’affirmer dans leur mélancolie. Le bonheur n’étant pas pour nous, écrit Houellebecq dans son essai, à quoi bon courir après ? Embrassons les noires vérités qui s’offrent à nous et transformons notre souffrance en poésie, que ce soit à travers l’écrit, la peinture, la musique ou autre chose, peu importe.
Un discours que l’on retrouve évidemment dans l’adaptation cinématographique de Rester vivant, sortie en salles le 9 mai dernier et réalisée par Erik Lieshout, Arno Hagers et Reinier van Brummelen.
L’auteur de ces lignes étant un inconditionnel d’Iggy Pop, la présence chaude et réconfortante du musicien en tant que narrateur du documentaire ne pouvait qu’attiser notre curiosité. D’autant que « l’iguane » est un familier de l’univers de Houellebecq dont le roman La Possibilité d’une île inspira directement l’album Préliminaires, l’un des meilleurs de la carrière solo d’Iggy Pop, avec The Idiot, Lust for Life, Brick by Brick, Avenue B et le récent Post Pop Depression. Houellebecq lui-même n’a jamais caché son admiration pour le chanteur des Stooges dont la photo – troublante coïncidence – fut épinglée au mur durant l’écriture de Rester vivant. Ce documentaire est donc, au minimum, l’occasion rêvée de voir réunis deux poètes qui s’apprécient profondément.
La structure du film, en revanche, est plus discutable. Pour porter à l’écran ce qui relevait, chez Houellebecq, du pur manuel de survie à destination des hypersensibles en proie aux états dépressifs, les réalisateurs ont choisi de filmer face-caméra les confessions de quatre personnes au bord de la déficience mentale, de la psychose ou de la paranoïa, réfugiées à divers degrés dans l’art. En prenant ainsi l’essai de Houellebecq par le petit bout de la lorgnette, les réalisateurs du documentaire se sont coupés de la plupart de ceux à qui était destinée sa méthode et, pis, les ont réduits à leur extrême : des cas psychiatriques.
Restent, tout de même, un touchant face-à-face entre Iggy Pop et Michel Houellebecq, et un morceau a cappella de « I Want to Go to the Beach », titre phare de l’album Préliminaires du chanteur.
Nous terminerons cet article par la conclusion optimiste de l’essai de Houellebecq :
« À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente […] Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard. Continuez. N’ayez pas peur. Le pire est déjà passé. Bien sûr, la vie vous déchirera encore ; mais, de votre côté, vous n’avez plus tellement à faire avec elle. Souvenez-vous-en : fondamentalement, vous êtes déjà mort. Vous êtes maintenant en tête-à-tête avec l’éternité. »
Pierre Marcellesi Boulevard voltaire