Un permis de construire pour installer, pendant trois ans, un foyer de 200 SDF (pas des « migrants », mais des sans-abris, souvent « oubliés » au profit des « migrants » justement). Trois ans pour permettre à des blessés de la vie de se reconstruire en sécurité, de dormir dans un vrai lit, de se laver, de se soigner, de reconquérir un peu de dignité. Plutôt bien, non ?
Seulement voilà : ce projet – cinq bâtiments de bois de 9 mètres de haut – a pour cadre le très huppé XVIe arrondissement de Paris, en lisière de ce bois de Boulogne (où traîne la nuit une faune interlope, soit dit en passant).
Du coup, les riverains, généralement discrets dans le confort douillet de leurs luxueux appartements, sont vent debout. Cachez ailleurs, où vous voulez, n’importe où, mais pas chez nous, ces gueux que l’on ne veut pas voir !
Le XVIe arrondissement est celui qui abrite les plus grosses fortunes de la capitale. Plus de 14 000 imposables y sont assujettis à l’ISF. Des ambassades. Des consulats. De somptueuses résidences. Des immeubles cossus.
Des gens qui, matériellement au moins, ont tout. Et qui trouvent insupportable de voisiner, ne serait-ce que trois ans, avec des gens qui n’ont rien. Cela ne choque pas le maire du XVIe, Claude Goasquen (des Républicains, mais pas tendance fraternité…) qui déclare, avec la morgue d’une chaisière qui tricote pour les pauvres et s’offusque qu’ils ne disent pas merci : « On veut faire passer les gens du XVIe pour des bourreaux. Sur le plan de la solidarité, avec ses paroisses et ses très nombreuses actions de bénévolat, notre arrondissement fait preuve de beaucoup de générosité ». Tu l’as dit, bouffi…
Alors voyons : combien de places d’hébergement d’urgence dans le généreux XVIe ? Exactement : 20. Contre 682 dans le XIIIe, 552 dans le XXe, 406 dans le XIe, 361 dans le XIXe. A signaler que les Ier, IIe, Ve et VIe n’en comptent pas une seule…
Dans le XVIe, allée des Fortifications, on est mobilisé. Avec le sentiment qu’on veut « punir les bourgeois de l’arrondissement ». Pas impossible, certes, qu’Anne Hidalgo, initiatrice du projet, ait mis un peu de malice roja dans son choix. Plus d’une vingtaine d’associations sont ainsi sous les armes pour exiger l’interdiction de ce centre qui risque de faire de l’ombre aux nurses quand elles vont aérer les bambins. Mais on avance surtout des raisons patrimoniales, écologiques, voire sociétales : « Le bois de Boulogne est classé », « On grignote les espaces verts », « La mixité sociale, ce n’est pas de construire des ghettos de pauvres à côté de gens très riches ». Ah, bon ? Et c’est quoi ? Construire des ghettos de gens très pauvres à côté de gens modérément pauvres ?
Un nanti de l’arrondissement avance même des arguments pratiques, soulignant qu’il y a peu de commerces de proximité dans le coin et ajoutant : « Pour les emplettes, il y a le personnel ». Sûr que les SDF manquant de personnel, ils vont devoir marcher (ce qu’ils savent faire) pour aller s’approvisionner chez les traiteurs un peu excentrés…
Cinq bâtiments de bois. Des constructions provisoires pour respecter l’interdiction de construire en dur dans le bois de Boulogne. Vraiment de quoi s’énerver ? Pour ma part – et ça n’engage que moi, bien sûr – je ne vois rien de scandaleux dans le fait de tendre la main aux plus faibles, aux plus démunis, aux plus malheureux. Nos frères de la mouise.
Alain Sanders – Présent