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Ce scandaleux personnage, né à Fécamp, le 9 août 1855, décédé à Paris, le 30 juin 1906, et qui se voulut arbitre de tous les goûts, pourfendeur d’artistes médiocres, critique des mœurs de son temps, lanceur de modes, amis de tous les grands, qui se voulut, aussi, de toutes les premières, de tous les événements, de tous les milieux et de tous les plaisirs – licites comme illicites – ne nous aura laissé, en tout fin ce compte, que bien peu. – On le craignait plus qu’autre chose et il s’en est trouvé plus qu’un qui, à son enterrement, a suivi son cortège pour s’assurer qu’il était bien mort. – Depuis plusieurs années, certains tentent de le réhabiliter en lui attribuant certains bon mots mais son humour, souvent fait de calembours ou faisant allusion à des ragots depuis longtemps oubliés nous paraît aujourd’hui, suranné.. – Certains morts, comme il le disait lui-même, serait bien fâché d’apprendre ce qui leur est arrivé.
“Lorrain avait une tête poupine et large à la fois de coiffeur vicieux, les cheveux partagés par une raie parfumée au patchouli, des yeux globuleux, ébahis et avides, de grosses lèvres qui jutaient, giclaient et coulaient pendant son discours. Son torse était bombé comme le bréchet de certains oiseaux charognards. Lui se nourrissait avidement de toutes les calomnies et immondices […]” – Léon Daudet.
D’une famille d’armateurs, destiné à devenir lui-même armateur, Paul Alexandre Martin Duval, dit Jean Lorrain naquit, comme le souligne Thibaut d’Anthonay, non pas en 1855, mais en 1882 lorsqu’il décida de devenir écrivain. Installé définitivement à Paris, en 1884, il soumet ses premiers écrits à des revues disparates : la Vie moderne, la Revue indépendante, Lutèce, la Revue normande, l’Art et la Mode, le Chat noir, etc. – Il publie aussi des poèmes : le Sang des dieux, la Forêt bleue ; à compte d’auteur. – Et il fréquente la bohème qui gravite autour de Rodolphe Salis. – La même année, il publie dans le Courrier français une série de portraits élogieux et irrévérencieux dont un sur Rachilde, qui venait de publier quatre ans auparavant Monsieur Vénus, avec qui il se lie d’amitié ; de complicité serait plus juste. – À partir de ce moment-là, il se crée un personnage qui circule de cabarets en bals costumés, de Montmartre au quartier Latin, vêtu de costumes outranciers ; allant même se présenter à l’un des bals des Quat’z-Arts en maillot rose avec le caleçon en peau de panthère de son ami, le Lutteur Marseillais.
Il est tout de suite remarqué d’autant plus qu’il affiche de façon ostentatoire son homosexualité. – On commence déjà à le fuir mais on n’ose pas s’attirer ses foudres car le chroniqueur qu’il est devenu a la plume piquante, acide, vitriolique. – Il s’attaque tout d’abord aux nouvelles venues qui tentent de se frayer un chemin dans la société qu’il fréquente mais il passe très vite aux personnages mêmes de cette société, adoptant des têtes de Turc qu’il ne lâche pas, soulignant les travers de l’un, les manies de l’autre, dévoilant des secrets de fortune, d’alcôve, allant jusqu’à dire, à mots à demi-couverts qui couchent avec qui. – C’est le premier échotier des Temps Moderne. – Mais ce qui le rend encore plus redoutable, c’est qu’il ne se gêne pas pour s’attaquer à ceux qui, la veille le recevaient, le croyaient ami pour la vie. – Et, tombant dans les préoccupations de son époque, il devient vite vulgaire car “nous oublions, écrit Philippe Julian, charmés par un vase de Gallé, une phrase de Proust, une mélodie de Fauré, la vulgarité profonde de cette Belle Époque si regrettée.” Et cette époque fut, malheureusement, vulgaire.
L’allusion grivoise, les gauloiseries, les bons vieux ragots de fesse font partie de ce personnage qu’il est devenu mais il se targue aussi d’être un esthète, se lançant dans la critique de spectacles, de peintures, de sculptures où il devient vite encore plus redoutable. – On ne le lit pas parce qu’il a un goût sûr (il tombe très vite dans les poncifs de son temps) mais parce que ses descriptions et ses critiques sont choquantes, voire même outrageuses.
Sa critique de Les plaisirs et les jours d’un jeune écrivain mondain (Marcel Proust à ses tous débuts) lui vaut un duel. – Et des duels, il en aura, des gifles aussi et même des attaques physiques. – L’une d’entre elle l’empêchera d’être à l’enterrement de Verlaine.
Et le voilà romancier, auteur de pièces de théâtre dans lesquelles il tente en vain d’intéresser une de ses rares amies, la grande Sarah. – Avec elle, aussi, il finit par se brouiller.
Il écrit aussi quelques chansons, dont “ Fleur de berge”, pour son autre “amie”, Yvette Guilbert qui, elle aussi, le tient à distance et avec qui il finit par se brouiller.
Montesquiou qui sera une de ses têtes de Turc favorites – parce qu’il pratique quelque peu son métier de critique, parce qu’il écrit aussi de la poésie – aura la meilleure attitude qu’on puisse prendre vis-à-vis un personnage semblable : il l’ignorera. Parce que trop bas.
Et il sera de tous les vices et de tous les plaisirs défendus. Il deviendra éthéromane, par exemple, car l’éther deviendra à la mode. – Et ses nombreuses aventures qu’on n’ose pas qualifier d’amoureuses le rendent encore plus amères. – Sa santé en souffre. – Opéré puis ré-opéré, il se perfore les intestins en tentant de s’administrer un lavement. – Pozzi refuse de l’opérer à nouveau et il meurt entouré de la seule personne qui lui est restée fidèle toute sa vie : sa mère.