Une nouvelle vient de tomber : un collectionneur allemand vient d’acheter en viager le tatouage dessiné sur le dos d’un Suisse par un artiste belge. Le porteur devrait être dépiauté après sa mort pour 130.000 €. Amusant. On devine le coup de com’, vu que le contrat est inexistant du vivant du porteur et illégal après sa mort, selon un avocat qui connaît son sujet. On pense, évidemment, au film hilarant de Denys de La Patellière avec Gabin, ancien légionnaire et son Modigliani dans le dos, Funès en marchand de tableaux survolté, le jumeau aux haricots rouges, le château de Montignac en ruine et le ministre de la Culture jeté au cul-de-basse-fosse avec les voleurs de tapisseries.
On pense aussi au sketch du Sâr Rabindranath Duval (Pierre Dac) et son complice (Francis Blanche) durant lequel le mage, en chaussettes et chaussures de ville noires, enveloppé dans un drap, juché sur un guéridon de bistro face à son interrogateur en peignoir et turban de Mamamouchi, tous les deux ronds comme des queues de pelle, devine chez un spectateur un « tatavage » exceptionnel représentant – « enfin, quand Monsieur est dans de bonnes dispositions », précise le Sâr -, « d’un côté la cueillette des olives en Basse-Provence et de l’autre un épisode de la prise de la smalah d’Abdelkader par les troupes du duc d’Aumale en 1843 ». « Madame a de la lecture durant les longues soirées d’hiver », ajoute Francis Blanche.
Il est connu un certain nombre de reliures en peau humaine détenues discrètement par d’honorables bibliothèques, et le Dr Besançon parle d’un médecin légiste qui, ayant disséqué un séducteur italien sans doute revolvérisé par un mari jaloux, se fit recouvrir un portefeuille avec la peau de l’instrument du scandale. J’ai vu, dans ma jeunesse nantaise, au Muséum d’histoire naturelle, une peau humaine dont l’éperdu patriote propriétaire voulait qu’on en fît un tambour révolutionnaire.
Mais on ne faisait les tambours qu’avec la peau des ânes. Mais on peut aussi se souvenir des choses qui se racontaient après-guerre sur un mystérieux bistroquet parisien, dans lequel se négociaient des fragments de peaux humaines tatouées, fournies par les carabins de l’Institut médico-légal. À l’époque, le « tatavage » était un attribut des marins, anciens légionnaires et pensionnaires de Biribi, prostituées, et surtout des truands et taulards ; la marchandise ne devait pas manquer. Mais la qualité restait à la limite du fruste artisanal, genre art brut, un marché de niche. Il y aurait, désormais, un juteux marché à caution artistique contemporaine.
La fleufleur de l’épaule de Jennifer à 150 balles (encadrée, à ce prix-là) ou le dragon complet de la cuisse de Jacky à 1.500. Plus cher, évidemment, pour l’aigle en couleurs dépiécé du dos du tueur de la 13e rue, cicatrices comprises. Rien qu’avec les guerres de gangs aux États-Unis, on peut prélever de quoi faire un copieux salon international en moins d’un an.
Pour paraphraser Jean-Christophe Averty : « Amateurs, à vos scalpels ! »
Marc Vidal – Boulevard Voltaire