Afin d’éviter que ne soient diffusés des discours racistes depuis l’hémicycle du Parlement européen, celui-ci s’arroge désormais le droit de censurer des interventions d’eurodéputés. Une mesure dont certains élus dénoncent les potentielles dérives.
Une nouvelle règle de fonctionnement du Parlement européen fait grincer des dents parmi la presse et les milieux politiques : désormais, l’institution s’autorise la possibilité de couper des passages de vidéos en direct ou en différé des séances du Parlement, «en cas de propos ou de comportement diffamatoire, raciste ou xénophobe», a rapporté l’agence Associated Press (AP). De plus, les auteurs de tels écarts seront passibles d’une amende d’environ 9 000 euros.
Ces mesures, qui étaient dans les cartons depuis décembre, ont pour vocation d’empêcher la diffusion de remarques racistes dans l’hémicycle européen. Tenus en mars dernier, les propos de l’eurodéputé du parti néonazi grec Aube dorée Eleftherios Synadinos – qui avait comparé les Turcs à des «chiens sauvages [et] sales» – auraient ainsi provoqué l’application de ces règlements.
«De plus en plus souvent, des déclarations d’hommes politiques vont au-delà du cadre de discussions parlementaires», a confié à AP l’un des députés européens approuvant cette mesure, le travailliste britannique Richard Corbett. «Que se passerait-il si ce genre d’incidents [les propos racistes] n’était plus isolé, […] et si des gens se mettaient à penser : “Cette plateforme [le Parlement européen] est fantastique ; elle diffuse en direct à une vaste audience. Les vidéos sont enregistrées, et rediffusées. Utilisons cette plateforme de manière agressive, spectaculaire”», a expliqué l’élu.
De nombreux députés européens, néanmoins, ne sont pas de cet avis, et craignent les dérives politiques potentielles d’un tel mécanisme de censure. «Encore plus de censure européenne, alors que l’UE, sous prétexte de censurer les discours racistes, entend mettre un terme aux critiques des eurodéputés contre elle», a par exemple tweeté l’élu du Ukip britannique Steven Woolfe.
Lorsque l’idée de cette mesure anti-discours haineux avait été formulée en décembre dernier, des eurodéputés avaient déjà exprimé leurs craintes. Gerolf Annemans, du Vlaams Belang flamand, avait alors déclaré que cette règle pouvait être «exploitée par ceux qui […] qualifient de racistes et xénophobes les gens qui expriment simplement des vues politiquement incorrectes».
Du côté de la presse aussi, des protestations se sont fait entendre : «[Cette règle] porte atteinte à la fiabilité des archives du Parlement [européen] au moment même où des suspicions de diffusion de “fake news” et de manipulations menacent la crédibilité des médias et des responsables politiques», s’est par exemple inquiété auprès de l’agence AP Tom Weingaertner, président de l’Association de la Presse Internationale, basée à Bruxelles.
Similairement, un journaliste contribuant notamment au Telegraph et au Huffington Post s’est désolé sur Twitter : «Peu surprenant. L’UE conforte son héritage anti-démocratique en introduisant des règles peu claires sur la censure».