Le marché n’a pas de morale de Mathieu Detchessahar

En cette période préélectorale, on cherche encore où sont les différences fondamentales entre la plupart des candidats, qui partagent un large consensus sur les politiques de libéralisme économique et d’ouverture des marchés et des frontières. Dans cet unanimisme qui relève de la pensée unique, un petit livre mérite d’être lu avec attention : Le marché n’a pas de morale (Cerf).

Écrit par un professeur universitaire d’économie-gestion, ce petit opuscule nous éclaire avec intelligence sur les fondements et ressorts de la dictature intellectuelle du marché, qui impose lentement mais sûrement ce qu’il nomme une « société de marché ». Nouvelle idole sacralisée, la société de marché serait la solution à tous nos maux en unissant les individus par de simples liens marchands censés permettre la satisfaction des intérêts dans un pseudo-projet commun réduit à une addition de projets individuels. Elle installe l’économie comme préoccupation unique de la société avec un idéal mêlant croissance illimitée, consommation effrénée et liberté totale.

Dans la société de marché, tout ce qui est économiquement efficace est considéré comme bon, surtout si cela amène à la déconstruction lente mais sûre de la morale commune car, sans bien commun, tout va pouvoir produire de la richesse et satisfaire les intérêts les plus égoïstes.

Pour les forces du marché, il est essentiel de fonder le lien social sur autre chose que l’histoire partagée, la culture, les valeurs et les vertus communes ou les frontières qui font obstacle à leur développement et qu’il faut donc abolir.
Unissant libéralisme économique (censé être de droite) et libéralisme moral (censé être de gauche), la société de marché considère le vieux catholicisme comme un obstacle car il additionne une méfiance vis-à-vis de l’argent, un certain ascétisme en matière de consommation et des exigences morales. La politique ne sert, alors, qu’à mettre en place les conditions favorables au développement du marché et à l’élaboration d’un droit qui délaisse la question du bien commun.

L’auteur cite quelques exemples d’immoralité du marché : l’adultère, qui est devenu un marché de consommation 30 ans après sa dépénalisation, ou l’explosion des émissions de télé-réalité qui, après un temps de vives critiques, se sont banalisées pour mieux « vendre du temps de cerveau disponible ». Ces sites et émissions participent-ils à un renforcement des liens sociaux ?

Autre caractéristique de la société de marché : la généralisation de la « corporate governance » comme un ensemble de pratiques visant à renforcer le pouvoir des actionnaires et à aligner l’intérêt des dirigeants sur leurs intérêts dans une recherche effrénée vers les seuls profits et valeur de l’action, générant des stratégies financières éloignées du service du bien commun. Ou encore les actions menées en dehors de tout assentiment démocratique pour les accords internationaux de libre-échange tel que le TAFTA.

Bref, voici une analyse éclairante et facile à lire pour comprendre pourquoi les clivages ne sont plus entre gauche et droite mais entre ceux qui veulent réhabiliter la politique et les marionnettes des forces du marché cherchant à transformer les citoyens en simples consommateurs.

Philippe Rodier – Boulevard Voltaire

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