Pour Stéphane Rio, professeur d’histoire qui s’exprime dans Le Monde, l’histoire dans le secondaire « est moins érudite, mais plus réfléchie ». En fait, pour ceux que Fillon surnomme la « caste de pédagogues prétentieux », l’Histoire n’est qu’un prétexte pour que les élèves développent des « compétences » (prélèvement d’informations, argumentation, synthèse, etc).
Bien sûr, certains professeurs truandent et transmettent davantage de connaissances qu’ils ne devraient, via des cours magistraux, honnis du ministère. Les meilleurs élèves apprécient, tandis que certains parmi les plus faibles prêtent l’oreille pour la première fois. Mais il arrive aussi que la masse de la classe, formatée par des années d’enseignement au rabais se cabre face à la quantité d’information. Des cours de plus de dix pages en Terminale ? « Ça se fait pas ». Car la pression ne vient pas seulement des inspecteurs, mais des élèves et des parents eux-mêmes, habitués que leurs enfants obtiennent des bonnes notes grâce à des cours atrophiés.
Les cours au collège sont taillés sur mesure pour les plus médiocres. Bientôt, les bons élèves ne se rendent même plus compte qu’ils s’ennuient, que le temps est ralenti. En troisième, le cours sur la guerre froide se limite à trois ou quatre concepts, avec lesquels l’élève est invité à jongler : superpuissance, bipolarité, etc. La grande mode, ce sont les « études de cas ».
En troisième toujours, le monde post-guerre froide est étudié au travers d’un thème particulier, au choix de l’enseignant: « le conflit en ex-Yougoslavie, la seconde guerre du Golfe, l’intervention de l’OTAN en Afghanistan». Au professeur de réaliser la prouesse de faire comprendre aux élèves le monde post-guerre froide au travers du conflit afghan. Il se rassurera en se souvenant que l’objectif n’est pas de faire comprendre, mais de faire acquérir des compétences.
De même, en classe de première, la guerre froide est étudiée au travers d’une « démarche inductive », « à partir de trois cas »: l’étude de Berlin, la crise de Cuba et la guerre du Vietnam. Car si les chapitres sont thématiques, le contenu des chapitres l’est également : une période aussi cohérente que la guerre froide est coupée en morceaux, dont certains seulement seront dignes d’être étudiés. Le dogme étant que le tout se reflète dans la partie, le professeur se tranquillise en se disant que les élèves comprendront la guerre froide en ayant travaillé trois documents sur la crise de Cuba.
En seconde, le cours sur le Moyen-Âge est à la carte et thématique. Un des thèmes possible est la féodalité. Tout est pensé pour évacuer le récit, afin qu’un cours sur cette période fondatrice de notre identité nationale se réduise à un vulgaire sujet technique, désincarné, sans chronologie : les relations entre le suzerain et son vassal. Le ministère réussit l’exploit de faire de la civilisation médiévale un cours hors-sol : les documents peuvent concerner n’importe quel royaume, pourvu qu’ils illustrent le système vassalique.
Sur le papier, le ministère peut se targuer d’un ambitieux programme : pas moins de 15 chapitres au baccalauréat. Mais, torpillés par d’encombrantes études de cas, les cours ne sont plus que des résumés de résumés. La taille des copies fond en conséquence, tandis que pour l’épreuve de commentaire de document, les élèves ne peuvent produire qu’une analyse superficielle dans la mesure où les documents du bac ne renvoient à guère plus qu’une quinzaine de lignes de cours. Les pédagogues se réjouissent de développer l’esprit critique d’élèves censés critiquer un document historique à partir de lambeaux de connaissances.
Heureusement, le système retombe sur ses pattes : les exigences au bac suivent la même pente que les cours, et « le niveau monte ».
Romain d’Aspremont – Boulevard Voltaire