La Caisse des dépôts et consignations a beau être une institution publique, cela n’a pas empêché que soit décidé un juteux plan de distribution d’actions gratuites pour ses dirigeants. Soixante bienheureux ont ainsi récolté 8,62 millions d’euros !
« Il n’y a rien de pénal, glisse un ponte de la Cour des comptes en aparté de la présentation du rapport annuel de l’institution. Mais du point de vue de la bonne gestion des deniers publics, la gravité de la situation a conduit à la saisine de la Cour de discipline budgétaire. La personne en question étant en plus en détachement de la Cour des comptes, notre conseil de déontologie aura à examiner son cas ». Le cas d’une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC Entreprises, a fait l’objet d’une attention particulière de la part des magistrats de la rue Cambon. Et pour cause : les faits incriminés impliquent l’un de leurs, Jérôme Gallot, alors directeur général de cette filiale de la Caisse des dépôts. Mais elle pourrait bien finir par peser également sur deux anciens directeurs généraux de « La Caisse », deux poids lourds de la politique et des affaires : Jean-Pierre Jouyet, patron de la CDC de 2012 à 2014 et actuel secrétaire général de l’Elysée (par ailleurs ami de trente ans de François Hollande), et son prédécesseur Augustin de Romanet, aujourd’hui aux commandes d’Aéroports de Paris.
L’affaire avait déjà était éventée la semaine dernière sur Mediapart. A peine arrivé à la tête de cette filiale de la CDC, chargée de faire du « capitale risque », le fonctionnaire Jérôme Gallot n’a qu’une urgence : monter un juteux plan de distribution d’actions gratuites baptisé PAGA. Ça tombe bien, il fait partie des 60 heureux bénéficiaires. « Ce type de plan s’inspire des pratiques des fonds de gestion. Avec un double objectif : attirer à eux des collaborateurs, et les intéresser au rendement de l’activité. Sauf que la presque totalité des gens de CDC Entreprises a été recrutée en interne et que contrairement au système du “carried interest” des fonds classiques, il n’y a aucun risque. Ni pour leur argent, ni pour les objectifs à atteindre… Bref, c’est gagnant à tous les coups », s’énerve le magistrat de la Cour des comptes.
Mis en place dès 2007, ce système a conduit à distribuer entre 2007 et 2010, 28 952 actions gratuites donnant droit à 20% des profits de la structure. Résultat : durant cette période les 60 bienheureux ont récolté 8,62 millions d’euros, dont la moitié de cette somme pour les dix principaux attributaires (président et directeurs), lesquels ont encaissé entre 328 050 € et 567 000 € ! De bonnes grosses plaquettes de beurre dans les épinards de ces « pauvres » salariés. En 2010, les mandataires sociaux ne touchaient en effet « que » 251 000 € de fixe, plus 150 000 € de variable (118 000 € au titre de prime variable d’objectif, 15 000 € pour l’intéressement, 17 000 € de participations), soit une rémunération annuelle de 401 000 €. Cette même année 2010, les mandataires sociaux vont toucher le gros des dividendes, soit 278 000 €, en violation des intérêts de la CDC, précise le rapport. Le bon Jérôme Gallot, lui, se goinfre littéralement jouissant d’une rémunération frôlant les 700 000 €. Elle est pas belle la vie ?
A ce stade, en 2011, le patron de la CDC de l’époque, Augustin de Romanet, a tout de même diligenté un audit. Toute la mécanique lui est ainsi dévoilée. Dénonce-t-il pour autant le programme ? Virent-il tout ce petit monde ? Non, dans sa réponse aux observations de la Cour des comptes, on peut lire : « J’ai pris la décision de ne pas autoriser CDC Entreprises à lancer un nouveau plan d’actions gratuites ». Faut-il comprendre que Jérôme Gallot en préparait un autre ?
La chance est de surcroît de leur côté. Avec la crise, CDC Entreprises va voir débouler dans son périmètre de nouveaux fonds, augmentant sensiblement les revenus et donc les bénéfices. En 2009, les dividendes versés se montent à 3,3 millions d’euros, quand le PAGA les estimait en 2007 à 1,8 millions. Mais cela ne semblait pas suffire aux goinfres : « La direction a objectivement modifié la stratégie de ce fonds public. CDC Entreprises ne regardait plus les dossiers avec l’objectif que l’Etat lui avait fixé au travers de la CDC, mais selon le seul prisme de la maximisation des profits des bénéficiaires du PAGA. Ce faisant, l’énormité des dividendes qui leur étaient distribués aurait du, à tout le moins, conduire à leur couper les autres éléments de rémunération variable », tranche notre magistrat.
La création de la Banque publique d’investissement en 2012 va leur donner l’occasion d’une nouvelle culbute. Le plan gouvernemental prévoie qu’elle absorbe CDC Entreprises. Pour cela, BPI va devoir en 2013 racheter les actions. Celles des titulaires du PAGA y compris : pas moins de 7,2 millions d’euros déboulent ainsi dans leurs poches. Jean-Pierre Jouyet, alors patron de la Banque publique et de la Caisse des dépôts, ne va pas broncher.
Cette affaire montre l’étonnante liberté laissée à certains dirigeants au sein des filiales de droits privées de la CDC. Pis, même munie d’un audit dans le cas du PAGA, la direction générale a préféré ne rien faire. A la toute fin du rapport, la Cour des comptes adresse une recommandation au directeur général : « Mettre en place un dispositif recensant de manière exhaustive, les rémunérations des cadres dirigeants au sein du groupe Caisse des dépôts ». Interrogé par Marianne, sur cette étrange formulation laissant penser qu’il n’existe pas de suivi et qu’il se pourrait bien que certains d’entre eux émargent au-delà du plafond fixé à 450 000 € depuis 2012, un magistrat lâche : « Ce n’est pas impossible… »